Chronique
détaillée de la révolte de Quatre Camins
Dans la prison de Quatre Camins, au moins 6 personnes sont mortes lannée
dernière pour différentes raisons, ce qui rendait lincarcération
encore plus insoutenable. Les derniers morts, Alberto Dominguez Maldonado et Antonio
Falces Casas et les abus continuels des matons du CATAC étaient un présage
de ce qui allait se passer quelques jours avant le mouvement (plante
?). Plusieurs matons ont attrapé un gamin du module 2 (J.H.) sans aucun
motif et lont tabassé brutalement. Un de ses compagnons (A.C.), voyant
comment ils le dérouillaient, a essayé dempêcher quils
le lynchent. Il y est parvenu avant dêtre tabassé à
son tour.
Ces faits quotidiens ont fait déborder la capacité de souffrance
humaine, cest pour cela quun groupe de prisonniers du module 1 a prévenu
la direction de la prison que si elle ne mettait pas fin à ces séries
dabus et que si les matons ne respectaient pas leurs droits les plus élémentaires,
ils mèneraient à bien un mouvement. Comme leur parole na pas
été prise en compte et quils nont obtenu aucune réponse,
le mardi 28 mai vers 10h du matin, plus de 100 prisonniers des modules 1 &
2 ont commencé une grève illimitée des bras croisés
portant sur 12 points de revendications. Cette résistance passive qui consiste
à refuser dentrer dans les ateliers de production que tient le CIRE
dans la prison et à refuser daccomplir les tâches quotidiennes
de maintenance et de nettoyage, a vu le jour avec un comité de grève
qui a permis détendre la protestation à dautres modules.
Les prisonniers ont aussi menacé de commencer une grève de la faim
et de refuser de rentrer dans les cellules si on écoutait pas leurs revendications
ou si on essayait de lancer des représailles contre les personnes qui participaient
à la protestation.
Parmi ces douze points, on retrouve les revendications collectives connues quun
collectif de prisonniers en lutte avait déjà posées fin 1999.
En plus, on trouve dautres revendications propres à ce centre et
contre les abus qui se répètent quotidiennement :
abolition du FIES (art 93-RP). Dans le centre pénitentiaire Quatre
Camins, ils sont en train de construire un espace au-dessus du module 5 pour aménager
un module FIES avec une capacité de 80 places.
libération
des prisonniers malades en phase terminale (art 60 de lancien code pénal).
amélioration des conditions sanitaires et dhygiène
à lintérieur de la prison.
emplois rémunérés. Que les prisonniers soient payés
pour le travail effectué. fin des fausses récompenses et du
système SAM qui provoque et motive les actions de délations et daccusations
de prisonniers contre dautres. Ce système donne de fausses primes
aux prisonniers qui collaborent mais jamais il ne comblera leurs aspirations de
liberté.
arrêt des mauvais traitements et tortures. Fin des menottes à
lintérieur de la prison. Il y a des cellules dans lesquelles le lit
est équipé de menottes et dun ceinturon pour immobiliser mécaniquement
le prisonnier quils abandonnent nu et la bouche ouverte, les pieds et mains
menottés sur une espèce de toile cirée quils mettent
par dessus le sommier.
fin de ce quils appellent les protocoles spéciaux,
qui consistent à empêcher lutilisation du complexe sportif,
les ateliers ou les espaces ouverts aux prisonniers qualifiés de susceptibles
de sévader.
amélioration de la qualité de la nourriture. Il y a quelques
prisonniers qui ont adopté la nourriture végétarienne parce
que les légumes sont la seule chose que lon puisse identifier un
minimum.
démassification de la prison. Cette situation ne doit pas se résoudre
par la construction de nouvelles prisons mais par lapplication de la loi
elle-même.
Comme la direction du centre a persisté à ignorer les problèmes
posés, les prisonniers du module 1 se sont mis en contact avec ceux du
module 2 en faisant un butròn (?) sur un mur mitoyen, ce qui
a rallié un bon nombre de prisonniers au mouvement de protestation et aux
revendications. On estime quil y en avait environ 250. La tension allait
croissante au fur et à mesure que passait le temps, les effets du mouvement
se faisaient sentir de manière si préoccupante que les poubelles
saccumulaient dans les cours et que le service de nourriture devait être
effectué par des groupes de matons qui laissaient les plats et les restes
de bouffe dans toute la cantine, détériorant encore plus les déjà
lamentables conditions dhygiène du centre.
Le mercredi 29 mai, le comité de grève a rencontré le directeur
et le sous-directeur du centre. Ceux-ci ont déclaré que si les prisonniers
changeaient dattitude, ils sengageaient à résoudre quelques
petites questions à caractère strictement interne. En se rendant
compte de la tromperie, le comité de grève sest levé
de la table de négociation et a réclamé la présence
du conseiller de justice et dautres médiateurs comme la Croix Rouge,
pour quils témoignent de la situation dinsalubrité de
la prison en tant quobservateurs. Ceci sest passé le mercredi
entre 15 et 17h. Lune des grandes craintes du comité était
que lintransigeance de la direction se transforme en une répression
rapide et brutale, comme dhabitude. Le sous-directeur de la prison a lancé
son dernier avertissement, soit ils changeaient dattitude, soit il ordonnait
lentrée des Mossos desquadra [unités anti-émeute
catalanes]. Les prisonniers ont réclamé des garanties comme quoi
il ny aurait pas de représailles, mais le sous-directeur a réaffirmé
encore une fois quil ne garantissait rien du tout. Pendant que ceci se déroulait,
une centaine de prisonniers sont montés sur les toits des modules en question
où ils ont passé plus dune heure en criant AMNISTIE
ET LIBERTÉ, cris que la presse qui sétait rassemblée
aux alentours de la prison ne peut nier avoir entendus. Face à cette situation
et prévoyant quelle pouvait sétendre à dautres
modules, rendant le contrôle de la prison impossible, le sous-directeur
a donné lordre dentrer et de charger aux Mossos, et ceux-ci
sy employèrent à fond en faisant étalage de toute la
brutalité de leur fonction. Des témoignages de quelques compagnons
de la charge ont été recueillis et parlent deux-mêmes.
Certains prisonniers racontent comment ils ont vu les Mossos tirer des balles
en caoutchouc contre des personnes à très courte distance. Un prisonnier
(P.S.V.) gisait la tête ouverte par un de ces tirs, un autre est tombé
sous limpact dune balle dans la poitrine et est resté étendu
complètement inerte sur le sol. Ils disent que trois ou quatre prisonniers
au moins se trouvent salement blessés à lhôpital.
Ils racontent aussi que les Mossos ont utilisé des balles réelles
contre certains prisonniers qui se mettaient aux fenêtres de leur cellule
en signe de solidarité avec leurs compagnons et, selon un témoignage,
les matons armés de barres de fer ont ouvert le crâne dun prisonnier.
Ceux qui étaient sur le toit ont essayé déviter les
coups comme ils le pouvaient et ceux qui ny sont pas parvenus ont été
jetés du toit dans le vide, se rompant plusieurs membres. Un grand nombre
de matons des prisons de Brians et de la Modelo ont rejoint la répression
brutale des Mossos, ils se sont présentés pour cogner les prisonniersdans
le plus pur style paramilitaire. On a pu voir particulièrement deux matonnes
qui sacharnaient contre des prisonniers et le sous-directeur de la Modelo
diriger personnellement la répression contre quelques prisonniers qui avaient
cassé une caméra dans le module 2. Un compagnon nous a raconté
que se trouvant dans le module 1, il a rencontré dautres prisonniers
qui navaient pas voulu croire ce quil disait avoir vu, pensant que
cétait le produit de létat de nervosité et dincertitude
du moment, mais plus tard un autre compagnon a confirmé avoir vu les mêmes
faits. Un maton connu sous le nom de La Fernanda, aidé de quelques policiers,
a sodomisé un prisonnier en lui introduisant une matraque dans lanus.
Petit à petit, les prisonniers furent réduits, ceux qui étaient
attrapés en groupe nétaient pas frappés avec le même
acharnement que ceux qui étaient acculés seuls ou à moins
nombreux. Ensuite, ils les ont réuni dans le piroulì
(?) de la prison et ils les ont obligé à sétendre sur
le sol. Plusieurs fois, les matons leur ont demandé si certains dentre
eux étaient blessés et quand les prisonniers levaient le bras, ils
se dirigeaient vers eux pour leur donner une nouvelle nuée de coups.
Les compagnons ont également confirmé quils avaient vu deux
matons blessés au cours du combat, lun étant le chef de service
de Quatre Camins. Ils tiennent également à ce quil soit clair
quils nont ni séquestré ni retenu à aucun moment
des matons et même quils ont laissé partir ceux quils
rencontraient sur leur passage quand le sous-directeur de la prison a lancé
sa spirale de violence répressive.
Quand la prison est tombée sous le contrôle des policiers et des
matons, ils ont amené les compagnons tels quils étaient et
les ont transférés dans différentes prisons : Tarragona,
Modelo, Brians, au département spécial de la prison pour mineurs
de La Trinidad et à Lleida. A Ponent (Lleida), ils ont emmené la
majorité des prisonniers et ont dû vider le DERT (departament especial
de regimen tancat, FIES catalan) pour y enfermer les compagnons. A la Rotonda,
ils ont également enfermé sept ou huit compagnons et ils en ont
menottés certains à leur lit par les mains et les pieds. Les cellules
spéciales des centres pénitentiaires en question ont été
remplis de prisonniers portant des marques évidentes de coups, de blessures
non soignées, ils ont été laissé sans assistance médicale,
sans vêtements, certains en petite tenue ou pieds nus et tous sans aucune
affaire de toilette. A Lleida, des compagnons qui accomplissaient leur peine là
ont essayé de leur procurer des vêtements, chaussures et dautres
choses comme des cigarettes. Dans cette prison, et dans une situation de censure,
ils les ont maintenu trois jours dans leurs cellules sans quils puissent
sortir, en période dobservation et détude des comportements
sans quils aient droit aux produits de la cantine (de toute façon
ils navaient plus dargent pour se les payer). Passé ce délai,
ils ont autorisé deux heures de promenades dans le patio ainsi que lachat
de produits de la cantine comme du café, du tabac, des produits dhygiène
et de toilette mais en maintenant les restrictions sur tous les autres produits.
Ce régime dincarcération (art. 93) sera maintenu jusquà
ce que soit terminé leur classification en premier degré dans laquelle
ils doivent passer six mois, qui peuvent être prolongés de six autres
mois en fonction de leur comportement. Les compagnons, en arrivant à Ponent,
ont commencé une grève de la faim, mais ils ont ensuite abandonné
cette idée étant donné quils devaient récupérer
des coups reçus et quà présent la situation de lutte
doit correspondre à ce qui se passe dans la rue. Le nombre de personnes
qui se trouve actuellement dans le premier degré de Lleida est alarmant,
et on peut imaginer quavec la massification un effet de dominos pourrait
se produire. De fait, il faut souligner que le vendredi 31 mai, bien que la justice
insiste particulièrement sur le fait que les leaders de la
mutinerie aient été transférés, le mouvement sest
reproduit dans la prison de Quatre Camins et quà nouveau quelques
30 prisonniers des modules 2 et 3 ont refusé daller dans les ateliers
de production. Comme un régiment de Mossos était resté dans
la prison sous la pression des matons, lintervention répressive a
commencé immédiatement et, dans une tentative désespérée
de résistance, six prisonniers ont réussi à monter sur les
toits. Dans la prison, la directrice des matons a fait acte de présence
en assurant que sils descendaient, il ny aurait pas de représailles.
Lorsque les compagnons sont descendus, ils ont été frappés
brutalement et ont été transférés à la Modelo.
Là, le samedi 1er juin, environ quinze prisonniers de la sixième
galerie ont manifesté leur solidarité avec les compagnons de Quatre
Camins, si bien que ces derniers ont été retransférés
ce même jour à celle de Ponent.
Comme vous pouvez limaginer, ces jours ont été vécus
avec une intensité inhabituelle et beaucoup de préoccupation, aussi
bien par les compagnons prisonniers que par leurs familles et par les personnes
qui manifestent leur solidarité de lextérieur. Il y a eu des
situations de crispation contre les familles à qui on a refusé les
parloirs afin quelles ne puissent pas voir dans quel état se trouvaient
les compagnons. Il y a eu le cas dun parent qui en allant au parloir de
la prison dans laquelle on avait transféré lun des prisonniers
et après une discussion avec les matons sur leurs mauvais traitements,
a dû quitter le centre avec les autres sans voir ses proches. Face à
leur refus de partir, les matons les ont expulsé en brandissant la mitraillette
avec laide des Mossos, tout en lançant des insinuations de représailles
sur ceux qui étaient à lintérieur.
Pour conclure cette chronique détaillée, il faut souligner que ce
ne fut pas une mutinerie comme les médias, la direction générale
et les matons ne cessent de le répéter (un mensonge mille fois répété
devient une vérité). La direction avait été prévenue
du mouvement à lavance, qui a aucun moment na été
organisé de lextérieur et auquel nont pas participé
non plus, comme on a pu lentendre, des groupes de soutien aux prisonniers
ou des avocats. Tout cela, ce ne sont que les mêmes calomnies répétées
des milliers de fois pour dénaturer et cacher les vraies raisons et la
réalité des prisons et des prisonnierEs qui, malheureusement jour
après jour, nous frappe dans sa réalité écrasante
et son nombre toujours croissant de morts. Au même moment, un prisonnier
du centre dextermination de Brians, A.P.S., se trouvait en phase terminale
à lhôpital de Terrassa après avoir mené une grève
de la faim illimitée pour protester contre le refus de lui accorder le
droit et les permis de sortie auxquels il pouvait prétendre.
Nous savons quil y a eu ouverture dune enquête, sans doute pour
créer un montage policier et ainsi justifier leurs négligences,
incompétence et cupidité, car ils amassent de grandes sommes dargent
sur la sueur et à douleur dautrui. Il y a déjà eu quelques
réactions rapides de solidarité, comme à Madrid presquimmédiatement
après que les faits se soient produits, et les importantes manifestations
de solidarité de la part de compagnonNEs de Lleida qui le samedi ont porté
des pancartes de solidarité aux prisonniers en lutte de Quatre Camins dans
toute la ville, et le dimanche se sont approchés de la prison pour parler
depuis la rue aux compagnonNEs du DERT afin de leur dire quils nétaient
pas seuls. A Barcelone, une manifestation a aussi été organisée
le samedi, elle partait de la Conselleria de Justicia, passait devant le local
du syndicat de matons CATAC et allait jusquà la Generalitat de Catalogne.
Comme la rumeur courrait que le mercredi suivant les matons voulaient se rassembler
devant la Conselleria de Justicia, celle-ci a été complètement
décorée de tags qui faisaient allusion à leur comportement
criminel. Malheureusement, ils ont été rapidement effacés
sur ordre de la Conselleria afin déviter que les matons se trouvent
face à ce panorama révélateur. Ce geste venu de linstitution
nous a une fois de plus confirmé que cest un faux conflit que celui
qui existe entre la DGIP [Administration Pénitentiaire] et les organisations
criminelles de matons. En fait, ils se protègent les uns les autres puisquen
définitive ils poursuivent toujours les mêmes objectifs : la construction
de plus de prisons, limplantation de plus de rigueur et de peines plus lourdes,
lutilisation de davantage de moyens de contrôle et de répression
(comme les sprays et matraques électriques), plus dargent pour les
budgets pénitentiaires et pour leurs propres poches.
En plus de las cundas (?) et des premiers degrés, ils ont déjà
pris dautres mesures. En principe, ils ne permettront plus lentrée
dans le centre pénitentiaire de Ponent daucun journal qui pourrait
être lu par les prisonniers. Depuis quelques mois, la Conselleria de Justicia
réclamait la censure dans la presse des informations concernant les évasions
et les tentatives, en disant que cela influencait les autres prisonniers. Les
autres mesures quils sont en train de terminer de définir sont un
durcissement du régime interne des prisons de Catalogne qui passerait par
le contrôle exhaustif des activités des prisonniers ainsi que de
leurs contacts avec lextérieur. Dautres mesures concernent
lisolement, non seulement de tout prisonnier qui génère un
conflit, mais aussi de ceux qui sont suspectés de pouvoir en créer
un.
Traduit de lespagnol.
Texte reçu le 8 juin 2002.
[Extrait de la feuille d'infos #5, 15 juin 2002, pp. 6-10 de Tout le monde
dehors 21ter rue Voltaire 75011 Paris]