Taleb HADJADJ, 25 ans, s'est
suicidé le 26 Février 1980 après avoir passé
5 années dans les Q.H.S.
" [...] Si je me suicide, c'est par désespérance
envers moi. Comprenez : je suis mort désespéré,
mais pas dépressif. Depuis deux ans je pense à mettre
un terme à cette situation. Le recours à l'évasion
ayant échoué, il me restait " l'autre évasion
". Je suis mort à 25 ans de destructions, de haines,
de souffrances, de larmes, de quête d'amour, d'affection
et d'amitié. 25 ans d'où surgit " glorieusement
" le négatif... le vide paralysant de la lâcheté
humaine. Lâche à cause de son incompréhension,
tout simplement. J'ai reçu en pleine gueule la prise de
conscience TOTALE de notre pourrissement. Nous banalisons, minimisons
ou employons la dérision pour tout ce qui concerne le cur
et le sexe. Je me suis conduit en fumier et, en ayant pris conscience,
je suis condamné à ne pas pouvoir le réparer.
Je ne suis pas assez pourri pour, me cacher maintenant, que j'ai
été pourri (avec d'autres ou moi). Et ce n'est pas
le sens de la normalité judiciaire. Je suis trop écuré
par ce gâchis pour être satisfait de ma SEULE prise
de conscience. Il me reste entre 14 et 18 ans à faire...
Toute ces années à vivre, quand, au bout de 5 ans
je n'en peux plus. Je n'ai pas assez de courage ou de lâcheté
pour résister. Alors reste l'utérus de Thanatos.
[...] Acceptez de quitter vos conforts pour l'analyse critique
constructive. De ma vie de maudit, ont découlé misères
pour mon entourage et moi. J'ai trop souffert et trop fait souffrir
pour en supporter encore. Je meurs entouré de pauvres de
vide. Tout ce que j'écris est dépressif, pensez
vous ? Mais non, je sais que cette terre est bourrée de
potentialités. Je sais que, libre, je pourrais construire,
innover et vivre heureux. Je sais que des gens vivront heureux,
mais, voilà... après 25 années très,
très pénibles, il me reste encore 14 ou 16 années
encore plus dures. Faites de cachot, d'isolement, de Q.H.S. et
... de stérilité sociale et libidinale.
Ce système patiemment élaboré au profit d'une
infime minorité est impitoyable. La population est prisonnière,
certes, mais d'ELLE. Contre le perpétuel endoctrinement/conditionnement
à la servitude, aucune contre pression. Et les idées
nobles, telles que démocratie, non violence, droit de l'humain,
l'égalité, sont perverties au profit du monstre.
Oui, pendant ce verbiage le monstre vaque à ses affaires
et (c'est le bon mot), vous digère. Il vous suce et vous
rejette en sachant, expérience millénaire oblige,
que le bonbon, pour durer, ne se croque pas. Qu'attendez vous
? Le Messie ou les martiens ? [...] J'ai bien saisi les processus
déterminants. C'est l'irrémédiable merde
où je suis qui m'écure. J'ai les yeux trop
ouverts pour encore temporiser avec de fausses illusions : "
et demain, peut-être... " ça fait 25 ans que
je fais ainsi la putain. Tous les jours je crève. J'ai
mal, terriblement. A croire qu'un cancer me dévore. Je
vous quitte, empli de haine et d'amour. De l'amour que jai
raté, de l'amour que je n'ai pas eu, de l'amour que je
voulais donner.
Bonne chance. "
Taleb HADJADJ
[Extrait de la feuille d'infos #2 de TLMD, septembre 2000]