Pour un monde sans vautours

" L'injustice a un nom, un prénom et une adresse "

Le 6 mars se tiendra près la cour d'appel du tribunal de Turin le procès de second degré où sont inculpés les deux anarchistes Luca et Arturo. Les faits se sont déroulés à Brosso il y a 5 ans au cours de l'enterrement d'Edoardo Massari, anarchiste inculpé de sabotages contre le projet du TAV et décédé dans la prison des Vallette : suicidé par les juges, par la police, par les journalistes et par les politiciens.

Luca et Arturo ont été accusés par les inquisiteurs d’être parmi les principaux responsables de l'agression contre Daniele Genco, journaliste confident de la police et depuis toujours un des plus grands accusateurs d'Edoardo. Pour cela, nos deux compagnons ont été condamnés par le tribunal d'Ivréa —après un procès pour le moins surréaliste— à respectivement 3 ans et 2 mois et 3 ans et 6 mois d'emprisonnement.

Cela ne nous intéresse pas de discuter des fondements de ce procès. Par contre, nous voulons revendiquer pour le geste de Brosso un acte de justice, un acte de résistance collective contre ceux qui dans les pages des journaux ont accusé, discrédité et offensé un de nos compagnons, contre ceux qui tous les jours insultent et salissent l'existence de millions d'exploités, hommes et femmes à qui il est interdit d'élever la voix.
Aujourd'hui, alors que le rôle des journalistes dans la légitimisation des guerres, de la répression dans les rues et du racisme devrait être évident pour tout le monde ; aujourd'hui, plus que jamais, même un petit geste comme celui de Brosso est une suggestion, un exemple à suivre. Pour cela, nous invitons tous ceux qui ont un encore un cœur et un cerveau à montrer leur solidarité avec Luca et Arturo, mais surtout nous invitons quiconque est, comme nous, pris de dégoût à chaque fois qu'il ouvre un quotidien, à apporter sa contribution pour libérer le monde des charognards et du terrorisme de l'information.

Solidarité avec tous les prisonniers, avec toutes les victimes des juges dans chaque coin du monde, avec tous ceux qui subissent le terrorisme journalistique et policier. Feu aux tribunaux !

Un peu d'histoire

Il s'est à présent écoulé 5 années depuis ces jours qui secouèrent la paix de Turin, au moins momentanément . A l'époque, la peur du " terroriste à chaque coin de rue " n'était pas encore présente comme aujourd'hui dans les pages des journaux, mais on pouvait déjà pressentir quelque chose, ce qui allait bientôt devenir une pratique de police habituelle.

Ainsi, un matin, une maxi opération des forces de l'ordre amena à la perquisition de plusieurs maisons occupées de Turin et à l'arrestation de trois compagnons anarchistes : Edoardo, Sole et Silvano. Contre eux, l'accusation était d'association subversive à finalité terroriste, plus une série de crimes spécifiques. Les inquisiteurs les inculpaient en substance d'être les auteurs de plusieurs sabotages accomplis dans le Val de Susa contre le projet du TAV [train à grande vitesse]. Pour les politiques et les patrons —et pour leurs serviteurs en robe—, il n'était pas acceptable que les habitants d'une vallée s'opposent aussi dans la pratique à un projet considéré comme nuisible par tout le monde. Il n'était pas acceptable que des anonymes décident de se passer de la légalité pour que leurs terres et leur santé ne soient pas encore plus détruites. Il fallait donc donner un nom aux mystérieux saboteurs, il fallait enfermer l'affrontement dans une guerre privée entre l'Etat, la Loi et n'importe quel autre sujet. Ils ont choisi quelques anarchistes qui n'avaient jamais caché leur inimitié envers cette énième nuisance. La magistrature et la police construisirent un délirant château accusatoire pour parvenir à une condamnation, et en même temps tous les journalistes se chargeaient de diffamer aux yeux des gens les trois compagnons arrêtés. La lutte qui était menée en Val de Susa contre le TAV par le biais des sabotages fut elle aussi discréditée et réduite au silence.

Quelques jours après son arrestation, Edoardo fut retrouvé pendu dans la prison des Vallette. En juillet, sa compagne Soledad se pendait à son tour dans la salle de bain de la maison dans laquelle elle se trouvait aux arrestations domiciliaires. Silvano restait en état d'arrestation, et ne sera acquitté de l'accusation d'association et condamné pour quelques faits spécifiques à quelques années de prison, que des années plus tard.

Nous ne savons pas ce qui s'est vraiment passé à l'intérieur des murs des Vallette, ni ne savons ce qui a poussé Soledad à se donner la mort. Mais une chose est certaine, c'est que nous avons bien en tête qui sont les responsables de la disparition de nos deux compagnons : la magistrature, les forces de l'ordre et les journalistes. Ce sont eux les ASSASSINS.

Après les arrestations à Turin et dans beaucoup d'autres villes d'Italie, les actions de protestation se multiplièrent, mais dans ce cas aussi la répression ne tarda pas à se faire entendre : pour tous ceux qui s'étaient solidarisés avec les arrêtés, il y eu dénonciations, prisons et coups.

A l'enterrement d'Edoardo, bien que la famille et les amis aient demandé qu'il se déroule en privé, la police et les journalistes décidèrent de ne pas leur laisser de trêve.

Ainsi, le jour de l'enterrement dans le petit village de Brosso, les sbires se sentaient en force et les ruelles pullulaient de journalistes prêts à calomnier une dernière fois Edoardo. Cette fois-ci, cela ne se passa pas comme d'habitude. Alors que la police entourait la mairie du village, les journalistes furent chassés avec les bonnes et les mauvaises manières...

Daniele Genco en particulier, journaliste qui plus que quiconque s'était évertué à salir Edoardo et qui est notoirement connu comme un indicateur de la police —il avait déjà fait condamner plusieurs compagnons par le passé pour des affrontements au cours d'une manifestation en solidarité avec Edoardo— a été bien servi à cette occasion. Malgré les avertissements répétés, Genco avait décidé de se présenter à l'enterrement pour effectuer son service —qu’on appelle droit à la chronique— en se fichant des requêtes et des sentiments des amis et des parents d'Edoardo. Pour cela, il s'est retrouvé avec quelques os cassés.

A Brosso ce jour-là, les compagnons d'Edoardo ont donné une réponse digne et collective aux insultes répétées et aux provocations des journalistes. Pour une fois, il a été démontré qu'il est possible de faire payer aux vautours un peu de leurs responsabilités.

Ceci non plus ne pouvait être toléré, aussi le parquet d'Ivréa a-t-il choisi autour d'une table trois coupables puis émis des mandats d'arrêts quelques jours plus tard.

Arturo ne fut jamais capturé et court toujours aujourd’hui à la barbe des policiers ; Andréa, après quelques mois de cavale, fut mis aux arrestations domiciliaires avant d’être relaxé en première instance ; Luca fut arrêté rapidement et passa quelques temps en prison alors qu’une campagne journalistique délirante œuvrait à l'enfoncer.

Après les pesantes condamnations du tribunal d'Ivréa —basées notamment sur de faux témoignages— aura lieu le 6 mars à la cour d'appel de Turin l'énième farce juridique. L'intention des juges sera comme toujours celle de réussir à enfermer dans des prisons nos compagnons. Notre intention est de ne pas oublier ces journées d’il y a 5 ans, et d'affirmer bien fort notre complicité et notre solidarité avec les inculpés. Que les assassins fassent leur jeu, nous ferons le nôtre...

Rassemblement en solidarité avec Luca et Arturo jeudi 6 mars à 9h00 au palais de justice corso Vittorio Emanuele, 3è section d'appel.

[Traduit de l’italien, tract publié à Turin le 22 février 2003]


Epilogue

La peine d’Arturo a été reconfirmée (3 ans et 8 mois) et Luca a été acquitté. L'après-midi même, des bombages ont été effectués dans les locaux commerciaux de " la Stampa ", via Roma, alors que la circulation était bloquée en solidarité avec Arturo et contre les mass-médias. A la suite de cette action, cinq personnes ont été arrêtées, deux ont été relâchées le jour même, une deux jours après, tandis que Luca et Simone ont passé plus d'une semaine à la prison de " la Vallette ". Pendant son incarcération, des gens "très louches" ont été vu sortant en courant de la maison de Luca. Cette affaire n'est pas finie, un procès va avoir lieu (inculpation de résistance et vol aggravé — Simone est inculpé d'avoir essayé de voler le flingue du policier qui l’arrêtait).