Le Projet Européen de Législation " Antiterroriste "
Les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis ont déclenché
parmi les grandes puissances un besoin urgent de légiférer
contre le " terrorisme ", en se dotant d'outils juridiques
(mais également policiers, etc.) aussi complets que possible.
Cette concorde en haut lieu a largement dépassé
le monde occidental et ses alliés les plus proches, tels
l'Inde. La course à l'"antiterrorisme " a fait
des émules un peu partout à travers les continents,
l'occasion étant trop bonne d'écraser ses propres
trouble-fête (mouvements séparatistes, guérillas,
oppositions politiques, délinquances, etc.), bref, de renforcer
son pouvoir chacun chez soi. On voit ainsi poindre des projets
de lois, décrets et autres guet-apens juridico-administratifs
accommodés selon les états locaux, en Colombie ou
au Zimbabwe ; proposition de pacte contre le " terrorisme
" fait par l'état sénégalais aux autres
états africains pour s'associer à la vague "
antiterroriste " internationale, etc.Avec les Etats-Unis,
l'Union européenne est bien sûr en tête du
mouvement. Le 21 septembre à Bruxelles, lors d'un conseil
extraordinaire réuni suite aux attaques du 11, un "
plan d'action antiterroriste " a été décidé
par les 15 états membres. Dans un texte intitulé
" Propositions de décisions-cadres du Conseil relative
à la lutte contre le terrorisme ", la commission européenne
a proposé aux 15 ministres de la justice et de l'intérieur
un nouvel arsenal judiciaire, à finaliser par un accord
politique lors de leur session des 6 et 7 décembre. Il
comprend l'instauration d'une définition harmonisée
du " terrorisme " et, côté travaux pratiques,
la mise en place d'un mandat d'arrêt européen. Cette
offensive des 15 contre le " terrorisme " est spectaculaire
et médiatisée, mais pas nouvelle : elle s'inscrit
dans les efforts de création d'un espace judiciaire pénal
européen depuis quelques années ; fait écho
à un certain nombre de groupes et structures de réflexion,
de propositions voire de pratiques, voués à la lutte
contre le " terrorisme " et le crime organisé
; enfin, elle permettrait de renforcer et d'harmoniser des coopérations
judiciaires et policières déjà effectives
sur le terrain entre certains des partenaires. (Voir 25 ans de
répression " antiterroriste " européenne).
La définition harmonisée
du " terrorisme "
Il s'agit pour les états de l'UE de tomber d'accord sur
une liste d'infractions " terroristes ", et sur la fixation
d'une échelle de sanctions pénales relatives à
ces infractions. Le but est de rapprocher le droit pénal
des différents états. A l'heure actuelle, leur coopération
pratique généralisée est en effet une utopie
répressive, du fait, entre autres, que la plupart d'entre
eux n'ont pas de lois spécifiques " antiterroristes
". Seuls 6 états de l'UE ont une législation
consacrée aux infractions dites terroristes (mais très
différente d'un état à l'autre), avec des
lois ou des instruments juridiques particuliers dans lesquels
les termes " terrorisme " ou " terroriste "
apparaissent explicitement : l'Allemagne, l'Italie, la France,
l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni. Ailleurs, on réprime
ces crimes comme des infractions de droit commun. Une première
définition vraiment fourre-tout a été proposée
aux états de l'UE. La méthode consiste à
reprendre tout un tas d'infractions de droit commun, auxquelles
il est ajouté un mobile spécifique terroriste :
celui d'être commis " intentionnellement par des individus
ou des groupes contre un ou plusieurs pays, leurs institutions
ou leur population en vue de les menacer et de porter gravement
atteinte aux structures politiques, économiques ou sociales
de ces pays, ou de les détruire ". C'était
sans compter avec les mouches du coche de la démocratie
: magistrats et avocats de gauche, porte-parole du " mouvement
social ", défenseurs des " libertés "
publiques et autres bouffons des maîtres qui se gavent des
miettes du pouvoir et de la représentation. Tous ces médiateurs
voyaient en effet dans la définition proposée de
graves menaces aux dites libertés en matière de
contestation sociale - encadrée, il va sans dire. Une centaine
d'associations, de juristes et de magistrats de 8 états
(France, Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Irlande,
Italie, Suisse) ont donc lancé un " appel européen
contre le délit de militantisme ", leur définition
de la lutte sociale se limitant en effet à sa pratique
séparée, et forcément reproductrice des matrices
de l'aliénation. Bien sûr, les pétitionnaires
s'émeuvraient bruyamment de ce que les arrachages de plantes
transgéniques par un Bové ou autre larbin du spectacle
militant soient qualifiés de terroristes - ce qui, rassurons-les,
n'arrivera jamais tant ils sont lui et ses pairs utiles au pouvoir.
Mais qu'on accuse de terrorisme celles et ceux qui, par les formes
de pratiques mises en uvre et par leurs discours, visent,
dans les sabotages technologiques qu'ils commettent, les principes
même de contrôle et d'autorité * - cela apaise
plutôt le sommeil des entremetteurs du pouvoir, qui eux-mêmes
assurent si bien la reproduction de ces principes. Pour faire
taire ses mouches à merde, la Commission européenne
a lâché à la mi-novembre une formule garantissant
la liberté d'association, de réunion, d'expression,
de manifestation et la liberté syndicale. Inch' Allah !Le
projet comporte également la fixation d'une échelle
des peines relatives aux infractions définies (selon le
principe du " minimum du maximum " ; ex : un maximum
de deux au moins pour vol ; 20 ans au moins, pour le meurtre ;
ce qui revient à prendre comme base les seuils de répression
les plus élevés).
Le mandat d'arrêt européen
(m.a.e)
Il est ici question de mettre en place une coopération
pénale européenne opérationnelle, basée
sur le principe de la " reconnaissance mutuelle automatique
" des décisions de justice entre états. Le
but est de remplacer les actuelles procédures d'extradition
par un système de remise directe entre les autorités
judiciaires. La proposition initiale est la suivante : lorsque
la justice d'un état membre demande la remise d'une personne
poursuivie pour une infraction passible d'une peine supérieure
à un an, ou ayant fait l'objet d'une condamnation définitive
à quatre mois fermes au moins, le mandat d'arrêt
doit être reconnu et exécuté sur tout le territoire
de l'UE, et ce dans un délai de trois mois, appels éventuels
compris ; après quoi le m.a.e serait caduc. Ce mandat d'arrêt
européen s'appliquera aux infractions qualifiées
de terroristes, et à celles relevant du droit commun et
constituant des " crimes graves transnationaux ". L'exception
actuelle des législations nationales qui prévoit
le refus d'extrader ses propres ressortissants, serait supprimée.Avec
l'adoption du m.a.e., un des obstacles juridiques majeurs (les
procédures nationales d'extradition) à la bonne
marche de la répression européenne, disparaîtrait.
(Exemple de Rachid Ramda, dont la France demande l'extradition
depuis 1995 et qui vient seulement d'être livré par
la Grande-Bretagne ; c'est ça l'effet 11 septembre...)Il
semble que les justiciers européens réfrènent
aujourd'hui quelque peu leur ardeur répressive post-11
septembre. Evidemment pas sous la pression des pétitionnaires,
mais en raison des réflexes souverainistes et autres intérêts
politiques et dissensions internes des différents états.Les
négociations sur le m.a.e. sont très laborieuses.
Des états veulent maintenir le principe dit de la "
double incrimination " ** pour certaines infractions, voire
pour toutes - qu'il s'agisse des actes terroristes ou des crimes
de droit commun également concernés par le m.a.e.
Si ce principe subsiste, l'intervention de l'autorité judiciaire
et le caractère politique de la décision de l'état
d'exécution restent entiers. Le m.a.e. perd donc son principal
attrait aux yeux des flics et des juges d'Europe, c'est à
dire son caractère automatique. Mais faudrait-il encore
- hormis les nombreux désaccords juridiques du même
type -, que les états s'entendent sur les infractions qui
tomberaient sous le coup du m.a.e. et entraîneraient l'extradition
automatique. Le gouvernement italien, après avoir refusé
que figure sur cette liste la " délinquance financière
" - afin de protéger les magouilles mafieuses de Berlusconi
et de la bourgeoisie locale - s'est finalement rallié aux
autres états lors du sommet de Laeken, fin décembre,
en échange de la non-rétroactivité du mandat
d'arrêt pour cette infraction. Le m.a.e. concerne également
le trafic de véhicules volés, de stupéfiants,
d'armes, l'escroquerie, le vol organisé, l'incendie criminel,
le racket, le viol, le détournement d'avions et de bateaux,
etc. Le gouvernement du Luxembourg a demandé que cette
liste vise seulement les personnes passibles de 4 ans de prison,
au lieu d'un an comme prévu au départ. Le gouvernement
allemand est quant à lui opposé à toute harmonisation
des sanctions pénales des infractions " terroristes
". Il existe aussi des enjeux politiques plus obscurs qui
freinent les élans d'harmonisation coercitive. La Grande-Bretagne
ou les Pays-Bas par exemple, sont accusés de favoriser
la surveillance et le renseignement plutôt que la répression
des étrangers soupçonnés de s'organiser depuis
leur territoire. Des enjeux économiques aussi, l'"
argent du terrorisme " ayant une sale odeur pour les politiques
surtout quand ça leur colle aux pieds, à eux et
leurs banquiers. Une adoption du m.a.e poserait en outre de nombreuses
difficultés constitutionnelles à plusieurs états
et exigeraient de lourdes réformes de leur droit.Il semble
donc douteux qu'une législation " antiterroriste "
- en tout cas dans sa version spectaculaire - soit adoptée
dans l'immédiat. Mais pour ceux et celles qui ont un pied
dans l'illégalité, pour les individu-e-s qui respirent
et conspirent contre les lois, est-ce là un signe de répit
? Les outils de la répression sont-ils moins tranchants,
nationaux plutôt qu'harmonisés ? Y-a-t-il aujourd'hui
encore des havres où les réfugiés basques,
italiens ou d'ailleurs, sont hors de portée de leurs bourreaux
et charognards attitrés ? Les démocraties européennes,
certaines en particulier, n'ont pas attendu le 11 septembre pour
légiférer contre le " terrorisme ", ni
pour se livrer leurs prisonniers respectifs. Il y a des états
dont la législation nationale ratisse plus large et réprime
plus dur, et pour qui l'harmonisation constituerait forcément
un alignement par le bas. Des accords bilatéraux et multilatéraux
régulièrement conclus entre barbouzes des gouvernements
européens, n'ont pas grand-chose à envier au m.a.e
& co. Une fois de plus, le spectacle politico-médiatique
cherche à nous divertir des véritables raisons de
la révolte : nos vies d'aliéné-e-s - contrôlé-e-s
- réprimé-e-s, nos corps et nos esprits dépossédés,
ici, aujourd'hui, proies des jeux cruels du cirque du pouvoir
et de l'autorité ; esclaves de leurs lois, qu'elles soient
nationales, européennes ou planétaires. Car pour
nombre d'entre nous, toute loi est une loi d'exception.