La Loi sur La Sécurité Quotidienne (France)

De nombreux gouvernements ont saisi le prétexte du 11 septembre pour durcir leurs lois " antiterroristes " et leurs lois en général. Chacun cible plus spécifiquement des fragments de populations : immigré-e-s, délinquant-e-s, pauvres, révolté-e-s, militant-e-s indépendantistes, toutes catégories qui incarnent à un moment donné, en fonction des spécificités nationales de classe, la figure du " terroriste ". La France cherche ainsi à se donner, l'air de rien, les moyens juridiques de qualifier pénalement de " terroriste " un large spectre de crimes, petits ou grands, avec les peines afférentes à ce type d'infractions, forcément beaucoup plus lourdes qu'en droit commun ; le gouvernement se charge aussi de réprimer toujours plus vigoureusement les autres : délinquant-e-s, pauvres, etc.Dans sa version initiale, la " loi sur la sécurité quotidienne " fut présentée par le gouvernement et discutée par le parlement dès le mois d'avril 2001. Elle fut toutefois bien étoffée depuis ; en particulier, un chapitre consacré à la lutte contre le " terrorisme " fut ajouté après le 11 septembre. Elle a été votée à la quasi-unanimité le 31 Octobre. Les dispositions regroupées dans le chapitre II ter de cette loi (" Dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme ") cesseront de s'appliquer le 31 décembre 2003 au plus tard, mais elles pourront aussi être reconduites après cette date (cherchez la contradiction). On y trouve entre autres, un article sur la " fouille des véhicules " sur réquisitions du procureur de la République, " aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme, des infractions à la législation sur les armes et les explosifs ou de certains faits de trafic de stupéfiants ". Ces fouilles peuvent s'appliquer à tous les véhicules d'un périmètre donné et peuvent avoir lieu à l'arrêt et en l'absence des propriétaires des véhicules. Ce genre de fouilles sont couramment pratiquées à l'occasion de manifestations anti-mondialisation - comme on l'a vu à Gênes en juillet 2001 -, et lors des jeux de cirque version contemporaine (coupe du monde de football, 31 décembre, etc.), drainant des foules dont le pouvoir craint les " débordements ".Les perquisitions des domiciles sont désormais autorisées " dans le cadre d'une enquête préliminaire ", " aux fins de recherche et de poursuite des infractions à la législation sur les armes et les explosifs ou de certains faits de trafic de stupéfiants ", sur le modèle des perquisitions autorisées dans le cadre des " enquêtes de flagrance " de terrorisme. Les perquisitions de nuit sont également prévues pour ces mêmes motifs, dans les locaux inhabités (quid d'un garage, d'une cave ou d'un local où on habite sans être déclaré ? quid d'un squat, occupé illégalement donc ?). Le trafic de stupéfiants pouvant couvrir, selon la loi, la simple détention, il y a désormais de très nombreux/ses cibles potentielles de ces descentes policières " préventives " et autres joyeusetés nocturnes " antiterroristes ". Il est donc fortement déconseillé de s'acoquiner de près ou de loin à quelque indésirable aux yeux de la loi ; n'en être bien sûr pas un/e soi-même ; et, de manière générale, mieux vaut ne pas craindre les coups de pression policière qui vont se pratiquer avec beaucoup moins d'obstacles procéduraux et légaux.D'autres dispositions de la loi concernent le pouvoir accru des vigiles privés, avec possibilité de fouille des sacs et palpations des personnes (en théorie et selon la loi, uniquement pour ceux disposant d'un agrément du préfet). Figurent également tout un éventail de mesures sur le contrôle des communications, en particulier d'Internet : conservation par les opérateurs des données techniques de connexion et de navigation de leurs usagers (date et heure, identité de la personne connectée,...), décryptage des messages électroniques, etc. Le contrôle renforcé des technologies de l'information constitue souvent un gros pan des lois " antiterroristes " en vigueur ou en projet (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, voir pages suivantes), et ceci, au grand dam des défenseurs du réseau mondial qui voient dans Internet l'outil idéal de liberté d'expression et d'émancipation !On cherche enfin à faire passer le paquet " antiterroriste " en y intégrant les délits de blanchiment et d'initié. Au grand cirque mondial " antiterroriste ", les maîtres illusionnistes et autres docteurs ès répressions sont nombreux à avoir sorti de leur couvre-chef le lapin et la carotte financière, comme preuve sans appel de leur courroux impartial. Ce qu'il faut sans doute retenir de ces mesures " antiterroristes ", c'est l'esprit de la loi, en l'occurrence la possibilité que les autorités se ménagent de qualifier de terrorisme (avec ses différents degrés de complicité, tentative, " entente en vue de ", etc.) des crimes jusque-là de droit commun, et une partie de la délinquance organisée.Mais l'astuce de la loi sur la sécurité quotidienne c'est d'avoir inclus tout un tas de mesures au sujet desquelles on ne peut invoquer un quelconque prétexte " antiterroriste ", mais qui, nous dit-on, doivent quand même être envisagées à l'aune de la " situation post-11 septembre ". Les quelques critiques médiatisés de la loi (LDH, MRAP, Syndicat de la Magistrature, Verts, etc.) demandent au mieux de soumettre celle-ci au conseil constitutionnel, sans doute leur planche du salut démocratique. Faut-il croire qu'il y a un " avant " et un " après " 11 septembre, que tout serait différent maintenant, qu'il faudrait tout accepter du pire comme si ce n'était pas déjà le cas " avant " ? A y regarder de près, loin du spectacle, on n'y trouve en effet rien que de très banal : le fleuve tranquille et continu du contrôle social et de la répression des pauvres, la répression des nombreuses formes de débrouilles pour survivre (fraude, vol, trafic, etc), de la révolte (dégradations, saccages, émeutes et violences anti-flics et contrôleurs,...), etc. On peut ainsi citer, parce que ça marque tout de même les esprits et que ça complique le quotidien, les six mois de prison et 7500 euros d'amende dont sont désormais passibles les resquilleurs/euses des transports publics ayant à leur actif plus de dix contraventions sur les douze derniers mois ; un bon moyen d'assigner à résidence les " barbares " des cités et autres pauvres des ghettos métropolitains ; dans le même ordre, l'intervention des flics ou des gendarmes pour dissiper certains attroupements dans les halls d'immeubles, avec également six mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende à la clé, mais cette mesure-là qui ne fait qu'entériner des pratiques courantes, semble beaucoup moins émouvoir dans les permanences du " mouvement social " ; ou encore, la possibilité pour certains agents des administrations publiques et vigiles privés d'être armés, avec agrément du préfet (de là à voir les CSA, chiens de garde de la RATP, jouer aux shérifs dans les couloirs du métro...). A retenir également, l'article selon lequel tout individu en possession " sans motifs légitimes " de substances " destinées à entrer dans la composition d'un explosif, sera puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de trois mille francs ". Gare donc aux bidons d'essence, d'huile, de chlorate de potasse (désherbant filtré) et autres mélanges sulfureux de nos petites cuisines. La loi consacre également une très large extension du champ d'application du fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg, créé en 1998 et régi par le décret du 18 mai 2000 ; en cours de constitution) : initialement prévu pour rassembler les ADN des personnes condamnées pour " crimes ou délits sexuels ", il concernera finalement des crimes touchant aux personnes (meurtres, violences volontaires, etc), aux biens (vols à main armée, extorsions et destructions qualifiées de crimes, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes,...) ou encore les crimes constituant des " actes de terrorisme ". A terme, ce fichier sera géré par la police.A noter enfin, plus efficace que l'effet placebo (un emploi jeune pour faire le boulot d'un bleu patenté), l'effet domino chez les flics : ils montent tous d'un grade ou voient leurs compétences élargies. C'est dans la loi sur la sécurité quotidienne, ce n'est donc pas un trophée des récentes manifestations policières. Selon ce texte, les adjoints de sécurité (ADS, les emplois jeunes de la police urbaine de proximité (PUP)) vont se voir attribuer la qualification d'agents de police judiciaire adjoints (APJ adjoints), ce qui étend leurs compétences au traitement des " incivilités quotidiennes " (tags, merdes de chiens, jets de détritus, tapages etc.) et de " l'insécurité routière " (contrôle de vitesse, dépistage d'alcoolémie et de cannabis). Les gardiens de la paix, quant à eux, deviennent APJ dès leur titularisation et non plus après deux ans à compter de celle-ci. En tant qu'APJ secondant les officiers de police judiciaire (OPJ), ils participeront aux missions de la police judiciaire (constatation des crimes et délits, audition des témoins,...). En ce qui concerne la ville de Paris et non plus la police nationale, les agents de surveillance de Paris (ASP, c'est à dire les pervenches), sous statut communal et rémunérés par la ville, bénéficient désormais eux aussi de la qualification d'APJ adjoints, avec les mêmes compétences (voir plus haut), plus la régulation de la circulation à Paris entre 7 heures et 22 heures. Le but est de décharger la police de proximité affectée à cette dernière tâche. Les ASP pourront donc procéder à des contrôles d'identité et disposeront d'une matraque et de menottes.

* Pour orchestrer ce grand combat pour la sécurité intérieure et contre le " terrorisme ", Vigipirate a bien sûr été renforcé, ses buts élargis, et 5400 policiers, gendarmes ou militaires supplémentaires y ont été affectés. A Paris, le nombre de soldats, parachutistes et gendarmes s'élève à 7000 environ.
* La création d'un commandement unique centralisé pour la police des transports en Ile-de-France, a été annoncée le 22 novembre. Elle permettra aux différents services de flicage des transports, d'intervenir d'un bout à l'autre des lignes en Ile-de-France, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Ainsi, les services de la RATP, de la Préfecture de police, de la brigade des chemins de fer et de la SNCF seront coordonnés et reliés à tous les services de police à terre, notamment les 7 services départementaux de la région. (Coût : de l'ordre de 1,5 milliard de francs).
* Selon le Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes), la demande de sécurité privée a augmenté de 5 à 7% depuis le 11 septembre.
* Entre 1997 et 2001, le budget du renseignement s'est accru de 13%, dont 40% pour la seule DST (Direction des services du territoire, les services de renseignement intérieur). Des dispositions ont été prises pour démanteler les " réseaux ", y compris dans les " quartiers " (source : ministre de l'intérieur à l'assemblée nationale, le 3 octobre 2001).