Salut,
Cette lettre est destinée à tous les amis que j'ai
laissé en France, qui continuent à chercher des
libertés. Je ne sais pas si cette publication vous arrivera.
La précédente a été traduite en français
mais nous ne pouvons pas lire de pamphlet, de fanzine etc... que
celui qui la reçoive la fasse tourner.
Combien somme-nous encore à avoir conclus un pacte de solidarité
? 10, 15. Je ne sais pas. Trop de morts et les amitiés,
les années passant, s'érodent et s'amenuisent. Mais
je sais qu'entre les amis et les autres que nous ne soupçonnons
pas, nous formons un réseau de complices capable de bouffer
la planète si il le faut.
Cela fait dix ans déjà que je suis arrivé
en Espagne, je suis passé de la rue a l'isolement et des
DPS au FIES. Les deux sigles veulent dire la même chose,
bien que les réalités des deux pays soient différentes.
En Espagne, l'isolement est assez semblable à ce que furent
les QHS et ce que sont maintenant les QI. Mais a mon avis, la
réalité est plus crue de ce coté ci des Pyrénées.
Ils (les espagnols) ont ouvert ces modules le 2 Août 1991,
les cellules sont assez propres et sont souvent équipées
d'une douche (ce n'est pas un privilège, c'est calculé
pour que nous n'ayons pas a sortir).
Nous n'avons pas de miroir, les lits sont en ciment et les étagères
aussi, quand il y en a...
Nous profitons de deux à quatre heures de promenade selon
les modalités (en théorie, parceque nous passons
de longues périodes en grève de promenade - les
grèves de la faim et de promenade sont les seuls moyens
que nous ayons pour dénoncer notre situation, bien que
tout le monde s'en foute).
Les portes des cellules sont automatiques, comme toutes les portes
du module, pour éviter tout contact avec les matons. L'unique
contact que nous ayons avec eux, c'est quand ils viennent à
10 ou 15 avec des barres et des casques. C'est délirant,
mais c'est une réalité, ils vont jusqu'à
s'habiller avec des habits anti-émeutes. Ici, le mot torture
prend toute sa signification, pas seulement là douleur
physique, ils peuvent te laisser menotté pendant des jours
dans ton lit, condamné à te chier et te pisser dessus
(je vous rappelle que nous n'avons pas de contacts avec eux, ils
sont hors d'atteinte et ils le savent). Le reste est de la torture
blanche, intériorisation de la douleur, dépersonnalisation
et toutes ces merdes qui visent à détruire l'individu.
Le FIES est un rebelle, mais différent du DPS. Beaucoup
de compagnonsviennent du milieu de la drogue. C'est un problème
de plus : des appuis extérieurs pratiquement nuls et d'énormes
difficultés quand il s'agit de s'organiser et de donner
une réponse efficace à la répression. La
majorité des collectifs sont plus folkloriques qu'efficaces,
c'est l'enfer !!
Je n'ai pas connu la "vie normale" mais nous pensions
que les choses ici étaient différentes, nous nous
trompions. Malgré mes séjour dans les QI et dans
les Centrales de haute sécurité, c'est en espagne
que la loi est toujours sans valeur, et les juges, des bourreaux
parfaitement conscients de leur condition (ceux qui me connaissent
savent que j'étais déjà au jus, mais maintenant
je le sais jusqu'au tréfonds de mon âme, et ce n'est
pas de la rhétorique).
En france nous sommes probablement ceux qui firent le plus de
mal à l'administration pénitentiaire avec notre
soif de libertés. Mais nous ne sommes jamais entrés
en guerre ouverte. Notre priorité à toujours été
de nous évader. Pourquoi ? Pour participer aux évasions
les plus spectaculaires ? Chacune d'entre elles venait de notre
désir de liberté. Tous les jours je pense à
eux, à ceux qui sont morts et à notre espoir qui
à chaque. fois nous a été volé. Vous
pensez vraiment que nous pourrons tous nous libérer de
l'extérieur? Lannemezan, Claurvasse, Hendes, Hailin etc...
cela va-t-il se reproduire ? Et quoi ? Nous serons à nouveau
assassinés dans une cellule ou enfermés en cellule
d'isolement. Je. refuse de mourir comme ça, surtout sachant
que nous pouvons gagner.
Combien somme nous à pouvoir nous auto-organiser et transformer
la révolte en conquête de liberté ? Moi, j'en
connais quelques-uns capable de casser les murs et plus encore.
Il nous suffit juste de nous poser le problème.
Je viens de lire un texte de Jean-Marc Rouillan, un prisonnier
d'Action Directe, je ne le connais pas et je ne sais pas s'il
est au courant des luttes en Espagne, mais ça me parle.
Ca me dit trop de choses : deux hommes, deux femmes et un ministre
de l'intérieur parlant avec ironie de cure d'amincissement
(ils étaient déjà à la limite des
séquelles irréversibles). A cette époque
ils comprenaient dans leurs revendications la fermeture des quartiers
d'isolement. Je me trouvais à Fresne, en DPS, et je m'en
rappelle parfaitement. J'ai entendu à la radio le discours
de ce ministre et j'ai jeté la nourriture à la gueule
du maton. Quatre jours après, fatigué d'entendre
le mot " instrumentalisation " j'ai recommencé
a manger. En réalité les choses sont plus tristes
que ça, parce que ce ne sont pas les paroles de mes compagnons
qui m'ont fait renoncer mais de ne pas savoir comment rédiger
nia requête sans être assimilé à quatre
prisonniers " politiques ". l'a deuxième division
était une forme d'isolement modéré, nous
étions mieux en bas que dans les étages, mais quelques
mois auparavant je me trouvais dans une oubliette à Poitiers
où j 'avais passé presque un an sans voir d'autres
prisonniers. Politiques, révolutionnaires, rebelles ou
tous simplement voleurs. C'est absurde mais c'est une réalité,
le Pouvoir crée des séparations et nous les approfondissons.
Est-ce-que certains se souviennent du premier bûcher de
Lanemezzan, pendant deux ans nous avons fait des concessions demandant
aux autres détenus de ne pas se mutiner pour qu'il ne nous
mutent pas. Quand on n'a plus pu se retenir, on a été
les premiers à se masquer et à prendre les toits
d'assaut. Qu'est ce que c'était bien ! Et en plus on s'est
évadés quand même ! Si pendant deux ans on
employait toute notre énergie à casser les murs,
on serait vite tous libres. Je ne crois pas dans les luttes collectives,
encore pire sans un objectif et un ennemi commun.
En espagne s'est ouvert un espace de lutte qui, espérons
le, s'étendra peu à peu à toute l'europe.
Nous, prisonniers, n'avons pas besoin de nous concerter mais de
nous auto-organiser au niveau individuel avec nos amis, l'objectif
est clair : la liberté.
Jeter un coup d'il sur cet écrit ne représente
pas tout ce qui pourrait se faire ni ce qui se fait. C'est nous
les amis connus et inconnus, ceux qui ont dépassé
la théorie de la solidarité, c'est la révolte
que nous avons appris dans la rue et en prison. Et surtout c'est
notre seule chance de tous nous libérer.
Gilbert GHISLAIN (GIL)
[probablement en 2000]
[Extrait de la brochure #2 de Tout le monde dehors !, avril 2001,
p.17]