Courage, faites-vous tuer

Chronique d’un assassinat

Chronique à bon marché
Sandrà, près du lac de Garde, une nuit de janvier. Michelangelo Rizzi, entrepreneur et militant de la Ligue du Nord, barricadé dans son petit pavillon, vide le chargeur d’un pistolet Heckler & Koch de calibre 40 sur deux silhouettes qui tentent de violer les privilèges d’une vie banale. Un peu plus loin du lieu de la fusillade, on retrouvera sur la neige, dans une mare de sang, le cadavre d’un jeune homme.

Précédents
Cette histoire n’est qu’un fait divers local qui devient emblématique parce qu’il est absolument normal (par les temps qui courent). Mais au vu des conséquences, parcourons en sens inverse la trame qui conduit à la scène du crime. Qu’est-ce que cache la nuit obscure et le rouge vif qui se répand sur la neige blanche ?
Dans le collimateur, il y a les centres commerciaux, les écrans plasma de dernière génération, les projets d’acquérir une voiture à crédit.
La main qui empoigne la crosse tremble : c’est la peur de perdre les biens dont veulent s’emparer les voleurs, la peur de perdre là le sens d’une existence, vu que désormais le sens de nombreuses vies n’est rien de plus que le reflet des marchandises sur leur propriétaire.
Le tireur n’est pas seul : dans l’ombre, avec lui, il y a des sourires complaisants, des encouragements à voix basse ; il y a l’assentiment d’un système qui a déclaré la guerre aux pauvres, avec ses ministres pistoleros, fanfaronnant autant contre les pauvres qu’ils sont serviles avec les puissants. Ainsi, à quelques heures de la discussion parlementaire qui autorise à faire feu contre ceux qui s’introduisent dans une propriété privée, il n’a pas dû sembler étrange à notre militant léguiste de pouvoir plomber impunément les malheureux intrus nocturnes.
L’explosion du tir diffuse un bruit dans l’air ambiant : celui, toujours le même, qui claque comme un bruissement de prisons pleines, de coups de matraques faciles, de pas agités pour fuir les rafles. Il reste ensuite comme un écho suspendu en l’air : il rappelle celui des mers où coulent les barques remplies d’immigrés.
Enfin vient le silence pesant de l’indifférence qui couvre tout.
Les balles de plomb de gros calibre ont l’impact violent... elles ne laissent aucune chance ; elles mettent définitivement fin à l’aventure nocturne d’un voleur.
D’autres coups de semonce sifflent au loin : ils sont destinés à une foule indistincte, menaçante ; une masse qui cogne aux portes, déterminée à fuir un sort toujours plus pauvre en plaisirs et espoirs ; une foule toujours plus lasse de se procurer à grand-peine à manger et un toit. D’une manière ou d’une autre, on doit se débrouiller lorsqu’on vit dans l’incertitude. Dans une société où on est encore apprenti à 30 ans et où à 40 ans on se retrouve hors du marché du travail, dans laquelle on travaille pour deux euros de l’heure lorsqu’on est privé de permis de séjour, la nuit porte de bons conseils aux jeunes pleins de bonne volonté.

Une histoire, une morale
Comment finit ce récit ? Par un simple constat : les riches ont compris que la fête est finie et sont en train de racler les fonds de tiroir, en un monde qui déboule vers un état de guerre permanente pour accaparer ce qui reste de ressources naturelles, de marchés et de force de travail. Ici aussi, les patrons veulent rafler tout ce qu’ils peuvent ; ils savent qu’il ne sert à rien de redistribuer une partie consistante des richesses aux exploités pour qu’ils se tiennent tranquilles, alors qu’ils peuvent se remplir les poches et se défendre en militarisant la société à travers une politique de sécurité justifiée par une invention permanente de dangers et d’urgences.

Quelques conseils aux lecteurs
Les riches se disputent les plus grosses tranches du gâteau, les moins riches attentent que quelques miettes tombent du banquet. Pour les pauvres, il n’y a aucun espace, le cours des choses les confine toujours plus aux marges, irrémédiablement. Il s’agit simplement de prendre acte des faits et de monter résolument sur la ligne de front de la résistance prolétaire.

Les jeunes des banlieues françaises en révolte ont compris que les voies où ils ont été enfermés sont sans issue. Ils se sont ainsi intelligemment lancés sans hésitation dans une critique pratique généralisée de l’urbanisme concentrationnaire.
Suivant cet exemple généreux, les ennemis sont des proies tout autour de nous, la chasse est ouverte.

Eat The Rich and Ghetto Superstar

[Traduit de l’italien. Tract qui a circulé à Vérone en janvier 2006]

[Extrait de "Cette Semaine" n°91, décembre 2006, p.9]