Cette fois, nous parlerons de nous. De notre petite aventure, des rapports et de la complicité qui en sont nés. Il y a quelques semaines, nous étions à Porta Palazzo pour distribuer «Il Viaggio» et d’autres lectures contre les rafles policières au détriment des clandestins, contre les expulsions, contre les lagers. Mais, dans la rue Cottolengo, une patrouille de carabiniers nous a arrêtés : ils voulaient nos papiers, les permis pour distribuer le journal... ils voulaient tout simplement nous faire partir. Un contrôle banal, comme il y en a souvent. Mais cette fois, près de notre stand sont arrivés plusieurs dizaines de personnes, presque tous étrangers, qui se trouvaient dans cette rue de passage, pour vivre ou pour travailler. Même menacés par les carabiniers - qui voulaient règler le problème «entre italiens» -, ils sont restés auprès de nous, à nous soutenir et à nous défendre. Et même quand les carabiniers ont essayer d’utiliser la manière forte - avec peu de résultats, d’ailleurs - aucun d’eux n’a bougé : au contraire, de plus en plus de personnes venaient nous aider. A la fin, les carabiniers n’ont pas réussi ni à identifier ni à prendre personne.

La solidarité, celle de la rue, n’a pas besoin de longs discours. Ce matin-là, il a suffi reconnaître l’ennemi commun, les carabiniers. Ennemi qui, dans ce cas-là, s’en prenait à nous, mais qui dans beaucoup d’autres a pris, frappé ou emprisonné beaucoup de ces personnes venus à notre stand. Les papiers, les cartes d’identité que les carabiniers exigeaient de nous cette matinée-là, beaucoup de ces personnes-là ne les ont pas : c’est pour ça que nous avons choisi de ne pas les donner nous non plus. Parce que nous n’acceptons pas qu’un bout de papier divise les exploités entre eux, parce que dans un monde où nous sommes de plus en plus pauvres, plus seuls, plus contrôlés, nous sommes tous étrangers, nous sommes tous clandestins.

Ces personnes-là, ce matin-là, nous l’ont démontré : la fraternité, la solidarité, la complicité ne sont pas liées à une soit-disante identité nationale. Être frères et soeurs, compagnons de voyage et de lutte, signifie reconnaître les maux communs et qui les crée ; ça signifie voir concrètement son ennemi et avoir conscience qu’il faut commencer à se parler et à s’organiser pour leur resister. Nous voulons donc les remercier, ces personnes-là, pour leur solidarité et leur courage, pour avoir choisi de s’unir à nous, même juste pour un matin, pour avoir montré une lutte commune possible.

Dans un Turin où les attaques des patrons se font de plus en plus fréquentes et impitoyables - plus de rafles, plus de misère et de contrôles pour tous-, où l’intention du conseil municipal est de «balayer» les pauvres trop nombreux hors de San Salvario et Porta Palazzo, notre seule possibilité est de redécouvrir la solidarité de rue, la complicité de la lutte contre les oppresseurs communs, la resistance des exploités, italiens et étrangers unis, dans les quartiers. Descendre dans la rue pour empêcher les rafles, les expulsions, les tabassages est l’affaire de tous.

[Texte publié en français dans Il Viaggio, mensuel gratuit, n°6, avril 2002]