On pourrait croire que l’histoire ouverte en mars 1998 à Brosso est maintenant définitivement terminée. Luca a été acquitté définitivement en appel en mars 2003 et Arturo est revenu d’exil en novembre 2006 en homme libre après huit années et demi de clandestinité.
Il faudrait pourtant avoir la mémoire courte pour oublier que les deux principaux journaux de l’anarchisme organisé ont entre autre immédiatement condamné l’attaque contre la crapule de journaleux Genco, allant jusqu’à parler d’ «agression au goût de squadrisme [pratique des fascistes de Mussolini qui défonçaient les militants de gauche dans les années 20]» (1).
Ou que les squatters de Turin ont profité des flashs médiatiques pour récupérer toute l’attention sur eux (2) plutôt que de la porter sur le TAV en Val Susa (une des formes de solidarité n’est-elle pas au contraire de continuer la lutte menée par les compagnons incarcérés ?). Sans compter les divers épisodes qui en disent trop long. D’interview en fausse conférence de presse, de tentatives individuelles d’empêcher la rage de se déchaîner lors de la grande manifestation de 10 000 personnes suite à la mort de Baleno en communiqué policier qui voudrait indiquer à l’Etat vers qui se tourner après l’envoi de colis piégés au procureur Laudi, à la merde Genco et à divers politicards du coin (3). Certains se paieront en outre l’infâme luxe de collaborer à deux livres utilisant sources policières, lettres et détails intimes et privés pour défendre leur version d’un vaste complot contre les squats (4), avant d’utiliser jusqu’à la nausée comme les derniers des charognards Soledad et Edoardo pour renforcer leur légitimité en Val Susa ces dernières années.
Alors, nous saluons avec joie le retour d’Arturo qui a su avec détermination et dignité continuer de lutter loin des griffes du pouvoir. Alors, nous assistons avec plaisir à la résistance contre le TAV en Val Susa. Mais nous n’oublions pas non plus le prix payé par ceux qui n’ont pas attendu les foules pour s’opposer à cette œuvre de dévastation, ni ces moments où, lorsque soufflait la tempête, il est des «anarchistes» contorsionistes qui ont préféré se muer en météorologues plutôt que d’affronter les vents contraires.

(1) Soit A rivista anarchica et Umanità Nova, journal de la Fédération Anarchiste Italienne.
(2) Voir Ultima fermata, dall’attacco contro l’Alta velocità in Val Susa alla difesa degli spazi occupati a Torino, ed. NN, juin 1998, 94 p.
(3) Le texte «Niente fischi, niente applausi : fuori dallo spettacolo» d’août 1998 signé Barocchio, Asilo, Cascina, Alcova, Prinz, Delta, Gabrio, La Casa se conclut par : «A ceux qui nous voudraient terroristes et clandestins, nous répondons que nous réagirons ouvertement à toute forme de violence par l’action directe, publique et collective, comme nous l’avons toujours fait» (c’est nous qui soulignons).
(4) Le scarpe dei suicidi de Tobia Imperato, ed. Fenix (Turin), 2003 et Amor y anarquia - la vida urgente de Maria Soledad Rosas 1974-1988 de Martìn Caparròs, ed. Planeta (Buenos Aires).


Arturo est revenu !

Mars 1998, au cours d’une brillante opération de police, suite aux enquêtes exécutées par le Digos [équivalent des RG français] Petronzi et dirigées par le juge Laudi et son ami Tatangelo, trois compagnons anarchistes sont incarcérés : Edoardo Massari dit «Baleno», Maria Soledad Rosas dite «Sole» et Silvano Pelissero, accusés d’être les auteurs de plusieurs attaques et sabotages anti-TAV [équivalent du TGV] contre différentes structures et contre la Sitaf, la société qui gère l’autoroute de Fréjus. En même temps, trois maisons occupées sont perquisitionnées : la Casa di Collegno qui est expulsée, l’Asilo situé via Alessandria est expulsé et réoccupé le lendemain, et l’Alcova qui n’est pas expulsée grâce à la présence et la mobilisation des compagnons.

Pendant tout le mois de mars, Turin a les honneurs des médias nationaux, pour ces faits et suite aux actions conséquentes de protestation des anarchistes et des squatters qui maintiennent la pression dans la ville. Le 28 mars, Baleno est retrouvé pendu dans sa cellule de la prison des Vallette.

Vu le climat du moment et le lynchage médiatique, la famille et ses amis exigent que les journalistes soient absents des funérailles qui se dérouleront à Brosso dans le Canavese ; et de fait, divers tristes sires continuent de jeter de la boue et de calomnier Baleno. Celui qui se distingue parmi tous est Daniele Genco, scribouillard d’un journal de campagne, «La sentinella del Canavese», et correspondant local de l’Ansa [équivalent de l’AFP]. Celui-ci s’était déjà acharné contre Edo dans le passé lors de ses précédentes incarcérations. Déjà connu, il a courageusement décidé de venir fourrer son nez aux funérailles en faisant des photos en douce, décision qui ne lui coûtera que 40 jours d’hôpital, un colis piégé et une escorte conséquente de carabiniers. Vu les états d’âme du moment, d’autres journaleux aperçus au loin sont agressés et chassés, y compris ceux de la soi-disant gôche. Ce même Genco balancera Arturo comme étant l’un de ses agresseurs, tandis que suite aux indications de trois témoins, des mandats d’arrêt sont lancés contre lui, Luca et Drew.

Luca sera arrêté chez lui, Drew après une année de clandestinité se rendra, et Arturo vient enfin de rentrer chez lui, huit ans et demi après [passés en clandestinité].
Depuis qu’il est parti, Arturo n’a pas offert une seule minute de sa vie à la prison, il a choisi de rester un homme libre, il n’a jamais exprimé de repentir sur les faits de Brosso. Mieux, il les a revendiqués dans plusieurs lettres adressées aux compagnons comme une action juste, menée par lui et toutes les personnes présentes.

Nous partageons sa position et son choix, nos ennemis d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui.

Le projet TAV s’est plus ou moins développé, tout comme la lutte et la résistance contre lui. De quelques personnes éparses qui luttaient il y a dix ans, la bataille est aujourd’hui menée par la vallée tout entière.

Les mêmes journalistes sont toujours là, et toujours comme des chacals égaux à eux-mêmes, toujours au service du pouvoir ou du politicien de service, avec la même démagogie prête à jouer les pompiers ou à jeter de la boue en fonction de la situation ou des personnes concernées.

Laudi et Tatangelo, encore en vogue, continuent allégrement d’envoyer en taule ceux qui expriment leur dissensus et luttent. Idem pour les flics, à l’identique, peut-être avec quelques degrés supplémentaires, mais tout ceci n’est que rhétorique...

Il ne nous appartient pas de proclamer l’innocence ou la culpabilité, ce n’est pas notre façon d’agir et de penser. Au contraire, nous espérons que des figures comme celles de Genco puissent recevoir au plus tôt et au moins aussi intensément un traitement analogue. A présent, finalement, après une longue absence, suite à la récente loi sur l’indulto [sorte de remise de peine générale], nous pouvons retrouver, en homme libre, Arturo à nos côtés.

BIENVENU.

Quelques présents à Brosso

El Paso

[Traduit de l’italien. Tiré de Masticatorino n°6, novembre/décembre 2006, p.2]


[Extrait de "Cette Semaine" n°91, décembre 2006, p.8]