Salvanèl, feuille de critique sur l'environnement
Rovereto, novembre 2005, numéro 3
Bas les pattes
du Val Susa
cela fait plus de 10 ans que la population du Val Susa, dans le
Piémont, se mobilise contre le projet dune oeuvre
monstrueuse : la ligne à grande vitesse Turin-Lyon.
Le train à grande vitesse (TGV et Tav en italien) se veut
à la pointe de linnovation ferroviaire, et est défini
comme une étape inévitable du progrès et
de la technologie (aucun politicien, aucun journaliste apparu
à la télé ces derniers jours na imaginé
remettre en discussion le projet). Mais vu que les miracles sont
rares, il faut en payer le prix : lignes entièrement nouvelles
avec des quais modifiés géométriquement,
une alimentation électrique différente et des coûts
de manutention très élevés.
Ceci signifierait pour les valsusains la destruction de leur terre.
Des tonnes de béton envahiraient la vallée pour
construire une ligne ferroviaire qui traverserait les villages,
trouant par de longs tunnels les proches montagnes où se
trouvent de fortes concentrations damiante, duranium
et de radon.
Le tout pour faire circuler plus rapidement des marchandises et
des hommes daffaire.
Ce qui sest créé au cours des années
comme opposition au Tav a été un large mouvement
qui comprend des gens ordinaires, des groupes écologistes,
certaines institutions locales et des comités de lutte.
Ces derniers sont nés dans lintention dinformer
tous les valsusains du problème Tav et de
créer ensemble des moments de lutte contre le projet.
Après une manifestation océanique en juin où
plus de trente mille personnes ont marché dans la vallée
en levant les drapeaux No Tav , les comités
populaires ont donné vie à trois rassemblements
permanents sur les terrains où devraient commencer les
sondages dans les montagnes (premier pas vers la réalisation
des tunnels).
Nés pour veiller constamment sur la zone, ce sont vite
devenus des lieux de rencontre, de socialisation, de confrontation
réciproque et de passage des informations. Là, jeunes,
familles et anciens se retrouvent chaque jour, faisant vivre une
expérience dautogestion qui va au-delà dun
projet dévastateur. Les rassemblements ont grandi grâce
à la contribution de chacun, dans la mesure et la forme
de ses possibilités : lun fournissant les sièges,
lautre un poêle à chauffer, lun cuisinant
et lautre portant un peu de bon vin. Dans ces moments, les
gens se donnent la possibilité de créer un mode
de vivre non programmé par la routine quotidienne, la mettant
et se mettant en discussion. Des personnes qui peut-être
peu de temps auparavant ne se seraient pas saluées se parlent
à présent, réfléchissent, se disputent
et programment ce qui est leur propre défense et la survie
de la vallée.
Le vif esprit dautogestion, dassemblées et
de rassemblements sest trouvé fort à faire
avec le rôle de médiation des maires et des institutions
locales, ou avec la poigne de fer de la région Piémont
et du gouvernement. Se trouvant pris entre deux feux, dune
part une population qui soppose au Tav sans si et sans mais
et de lautre le sommet de leur parti qui insiste à
plusieurs reprises pour commencer les travaux, les maires et les
conseils locaux ont cherché à ralentir le temps
à tout prix.
Ce cheminement, développant une intelligence collective,
a poussé les personnes à résister avec détermination
a ce qui a été la première épreuve
de force. Le 31 octobre, plus de mille uniformes (entre policiers
et carabiniers) ont envahi la vallée dans le but de permettre
aux techniciens deffectuer les sondages sur la montagne
de Rocciamelone, qui ouvriraient la voie aux débuts des
travaux.
Depuis les premières lueurs de laube, des groupes
toujours plus nombreux de gens ont formé des blocages pour
empêcher le passage aux forces de police. A partir du village
dans la vallée, où la police les avait repoussé
durement au cours dun sit-in puis encerclé, les gens
ont réussi à grimper les sentiers pour atteindre
les terrains à défendre contre le sondage. Personne
nétait prêt à faire un pas en arrière.
Ces sentiers et ces bois qui furent les routes et le refuge des
partisans, étaient à présent animés
par des personnes qui, comme 60 ans avant, sont motivées
par la volonté de créer soi-même son futur
en défendant contre la destruction le territoire et les
gens qui y vivent.
La police a tenté plusieurs fois de forcer les barrages
sans épargner les coups de matraque et les menaces. Puis,
justement alors que la force était moindre et que la fatigue
prenait le dessus, parvenaient des nouvelles qui réchauffaient
les coeurs. Hurlements et applaudissements pour les ouvriers des
usines du Val Susa qui entraient en grève en solidarité
avec les barrages. Hurlements et applaudissements pour les autres
qui avaient occupé dans la vallée de nombreux bouts
de voies en arrêtant les trains et les TGV français.
Lorsque les parents avec leurs enfants à côté
deux se pressent contre les boucliers pour empêcher
la progression de la police, lorsque les vieux restent debout
en agitant pendant des heures les drapeaux No Tav sur les casques
des carabiniers, cest dans ces moments quon comprend
à quel point les personnes sont en train de mettre en jeu
leur propre vie et ce quelles ont de plus cher, conscientes
que chaque décision prise sur leur tête est une défaite
pour la collectivité toute entière.
Au coucher du soleil, la police semblait être tenue en échec
et a assuré aux maires quelle ninterviendrait
plus sur les terrains à sonder. Se fiant à ces garanties,
les maires ont convaincu les manifestants de démonter les
barrages et de lâcher les rassemblements. Ayant la voie
libre, la police a ainsi embobiné de façon sournoise
les gens, parvenant [la nuit] aux terrains avant de les clôturer.
Bien que se finissant sur une note damertume, ce fut une
extraordinaire journée de résistance qui a montré
avant tout le niveau de combativité de ceux qui ne veulent
pas du Tav et a délimité deux camps : tenter un
dialogue avec ceux qui biaisent les cartes pour réaliser
le Tav est non seulement inutile mais aussi dangereux.
La réponse des gens ne sest pas fait attendre : de
Borgone à Avigliana, les gares se sont remplies de manifestants,
la circulation sur les routes nationales de Monginevro et Moncenisio
a été coupée sec. Il est ressorti de lassemblée
du lendemain que les jeunes du Val Susa boycotteront les jeux
olympiques dhiver, revenant sur leur participation comme
volontaires.
Les espoirs du Val Susa sont nombreux, et en premier lieu le sentiment
dunité et de cohésion qui naît et se
renforce entre les personnes lorsquelles affrontent elles-mêmes
les problèmes qui les regardent, sans déléguer
la lutte à dautres.
[Extrait dEl Salvanèl n°3, novembre 2005]
[Extrait dEl Salvanèl n°3, novembre 2005]