Lettre de Giuliano Marchetti

J’ai été arrêté chez moi, alors que j’étais couché, la nuit du 29 au 30 mars : le même sort a été réservé à mon coinculpé, Marcucci Doriano. La porte a été défoncée puis la perquisition de routine s’est déroulée.

Cette introduction n’a certainement pas pour but le victimisme et/ou l’innocentisme pleureur, ni le garantisme, auquel je ne crois ni n’adhère, mais est là pour faire remarquer le rôle habituel de fourbes et de serfs des plumitifs et des scribouillards en tout genre, toujours prêts à diffuser les poisons complaisants de la préfecture pour nous faire avaler les manœuvres répressives basées sur la désinformation, la manipulation, le faux et la calomnie *. Ils sont à l’œuvre, comme d’habitude, dans un métier désormais passé maître dans l’art d’être toujours plus misérablement au service du terrorisme psychologique, avec comme armes le plomb de leurs articles.

On me dit, lors du jugement qui confirme l’incarcération, que je suis inculpé “ pour les articles 81, 110 du code pénal et les articles 1 et 4 de la loi 895/67… parce que de façon liée et concernant plusieurs actions ayant un même dessein criminel, ils transportaient en public un engin incendiaire à fin d’attenter à la sécurité publique ”. ! ? ! ? Ridicule et tragique en même temps.

Je ne peux que repousser l’accusation et la renvoyer à l’expéditeur.

Il existe un dessein criminel, c’est vrai, et c’est celui de l’exploitation de l’homme par l’homme, et de l’homme sur la nature et les animaux, sur lequel est basée cette société capitaliste. De même que cette société est responsable de la terreur, des crimes et de la mort indiscriminée dans la population avec ses catastrophes écologiques de tout temps, afin de se garantir des profits et de préserver ses privilèges : Tchernobyl, Seveso, Bophal, l’Acna de Cengio et Farmoplant à Massa, Porto Marghera et Priolo, les incinérateurs, les fabriques de mort, les usines d’armes, la pollution, l’empoisonnement de la nourriture, de l’eau, de la terre, les journées de travail et sa mort blanche, les biotechnologies, la vivisection, les élevages de fourrure, les guerres, le nucléaire civil et militaire, Hiroshima et Nagasaki, les bombardements, le napalm, le phosphore, l’uranium appauvri, et toute une énumération qui serait très longue.
En attaquant et en réprimant les rebelles sociaux qui n’acceptent pas les règles du jeu et qui se battent avec force, détermination et cohérence contre tout cela, cette société défend ses injustices sociales avec la violence légalisée de la prison, de l’isolement, de la privation sociale et affective, les tabassages, le 41bis, la torture, avec la violence aberrante et inhumaine qu’elle exerce dans les centres de rétention contre les migrants.

Face à ce tableau, bien partiel dans son cadre de violence, de sang et de mort, je crois que quiconque n’a pas d’intérêts, de privilèges, de profits à défendre ou une conscience complice et résignée, ne peut que convenir, outre la certitude que ce n’est pas à moi de me défendre, du fait que ce dont on m’accuse (l’incendie d’un local de Forza Italia, au-delà de ma participation présumée toute à prouver) ne peut que m’honorer. Car si c’était vrai, je n’aurais fait que restituer en doses vraiment infinitésimales ce que le pouvoir et le système de domination dont Forza Italia st l’une des expression, a semé et provoqué.

Ceci, si on en reste au plan général, car si on descend au plan local, sur le territoire, les motivations pour légitimer cette action seraient des milliers : de comment a été utilisée cyniquement la lutte contre l’incinérateur et défendue la santé et l’environnement pour se construire une carrière et une fortune politique, à comment on a permis en toute complicité que soient brûlés des déchets et des poisons, de comment on a tu en toute complicité pendant beaucoup de temps que la dioxine et les poisons volaient en l’air hors des “ limites ” et des “ normes ” légales, à comment on a foulé aux pieds et s’est moqué dérisoirement du souvenir, de la douleur et des blessures inguérissables provoquées par le massacre nazi de S. Anna en exposant le buste du Duce dans les salles de la commune, à comment on a bétonné et spéculé sur le territoire, en faisant une proie facile pour les spéculateurs affamés de fric. Je m’arrêterai là.

Je me serais défendu bec et ongles si on m’avait déshonoré en m’accusant d’avoir empoché des pots-de-vin, d’avoir pollué, de m’être bâti des fortunes économiques grâce à ma position politique, d’avoir considéré l’environnement comme une ressource à utiliser pour augmenter mon compte en banque.

Et tout ceci vaut également pour la tentative répressive prévisible et qui sert de prétexte de m’accoler d’autres actions dans le coin (l’incendie de deux distributeurs de billets), qui vient confirmer les délires policiers habituels et la volonté répressive commune à toutes les enquêtes. Face à la manœuvre et à l’acharnement répressif, outre naturellement le fait de n’avoir aucune confiance dans les tribunaux et les juges soit en tant qu’anarchiste et révolutionnaire soit par la conscience d’avoir avec eux des intérêts, des conceptions et des aspirations qui s’excluent et sont inconciliables, je ne peux que refuser la culpabilité et l’innocence, matière et catégories juridiques qui ne m’appartiennent pas et que je laisse aux avocats, aux flics et aux juges. Je tiens à réaffirmer mon parcours anarchiste, écologiste, radical, ma tension individuelle cohérente et déterminée, à l’intérieur d’un parcours plus général de rébellion, de résistance et de lutte pour une société meilleure, considérant l’engagement dans la lutte non comme une possibilité mais la vivant comme une nécessité sans délai, ici et maintenant, sans hésitations ni compromis.

Cette façon de voir, dans son intégrité, je l’ai défendue, soutenue et pratiquée avec détermination auparavant, et je n’entends pas, de manière opportuniste, en dire moins, à présent que je suis dans le viseur de la répression, par profond respect pour ma dignité personnelle.

J’ai toujours cherché à concevoir la solidarité non pas comme une parole vide, mais en lui donnant un contenu précis, cherchant à l’affirmer comme une pratique sous tous ses aspects, n’en recherchant pas les frontières ou les limites entre les pages du code pénal, mais dans la concrétude de la lutte avec tous les opprimés, avec tous les exploités, avec tous ceux qui luttent, de n’importe quelle manière qu’ils le fassent.

J’ai essayé de ne pas faire de calculs d’étudiant en commerce, de comptable, à l’intérieur desquels enfermer ou diminuer les élans généreux de mon cœur, mes affects, les sentiments, les tensions. Je les ai au contraire laissés se manifester comme je le désirais et le sentais à ce moment-là.

C’est en ce sens que je ne me sens pas innocent, car conscient que l’être dans cette société signifie fermer les yeux, ne pas entendre les demandes désespérées de solidarité des damnés de la terre, cela signifie résignation, complicité, indifférence, apathie, conformisme, servilité. Et, au fond, partage et acceptation des valeurs, des intérêts et de la violence légalisée de cette société de mort.

Là où le silence assourdissant de tant de prétendues et pourtant impossibles pacifications sociales est brisé par le hurlement de la révolte, qu’il se manifeste par un geste individuel ou une expression collective, c’est là que bat mon cœur.
C’est cette pulsion de mon individualité que je considère merveilleuse, qui est accusée, qu’ils cherchent à enfermer entre quatre murs.
Impossible à enfermer à clé pourtant, parce que tant qu’il y aura exploitation, injustice et oppression, il y aura des luttes et de la solidarité, tant qu’il y aura la splendeur des étoiles, il y aura toujours partout dans le monde des rebelles prêts à voler à l’assaut du ciel.

Aux côtés de ceux qui luttent, dehors et à l’intérieur des prisons pour la vie et la liberté de toutes et tous, en souvenir de ceux qui, hors et à l’intérieur des murs, ont donné leur vie pour cette lutte, et pour ceux qui continuent à voyager de manière obstinée à contre-courant…

Liberté pour toutes et tous, toujours.

Giuliano,
prison de Solicciano,
7 juin 2006

* Les journaux, repris aussi par tout indymedia, avaient en effet annoncé le lendemain de leur arrestation qu’ils avaient été pris en flagrant délit sur place.