Lettre de Salvatore Signore de Salerne
16 juin 2005
Chers amis et chers compagnons, je vous envoie un salut
avec ces quelques lignes et un remerciement pour toute la solidarité
que nous avons reçue, moi et mes compagnons. J'essaie de
rester tranquille et forte, parce que cette folie devra finir
un jour ou l'autre. La tenacité de ceux qui ne se résignent
pas à l'iniquité et à l'exploitation qui
s'abattent chaque jour sur les têtes de millions d'exclus,
dérange évidemment beaucoup. Mais ceci doit nous
faire comprendre que seule la lutte paie. Ce n'est qu'en relevant
la tête que nous pourrons vraiment nous sentir libres dans
cette société-prison que nous voulons changer. Peut-être
est-ce un rêve mais comme quelqu'un l'a écrit, mieux
vaut un rêve sublime qu'une réalité terrifiante.
Je vous envoie quelques parties de lettres de Salvatore de la
prison de Salerne. Il ne s'agit que d'extraits, parce que ces
lettres sont personnelles : mais ne vous inquiétez pas,
je ne les ai pas modifiés comme le font les flics.
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11 juin 2005
Depuis 14h30 aujourd'hui, je me trouve dans la prison de Salerne.
Hier, ils m'ont annoncé que je serai transféré
mais c'est seulement ce matin dans le fourgon que j'ai su ma destination.
Ils m'ont réveillé à 5h30, je suis descendu
à 6h et j'étais à 7h dans le fourgon avec
d'autres détenus, dont Saverio.
Les deux autres prisonniers qui étaient avec nous savaient
déjà qu'ils allaient à Melfi et j'espérais
sincèrement qu'ils m'y lachent aussi avec Saverio, aussi
bien pour rester ensemble, que parce que les autres disaient que
c'était une bonne prison... Néanmoins, une fois
dans le blindé, nous avons demandé à l'escorte
et ils nous ont dit que Saverio restait à Melfi, tandis
que j'allais à Salerne. Cette prison est une de construction
récente, mais ce n'est qu'une vieille qui a été
restructurée, "embellie". La chose que j'ai tout
de suite remarquée (mais peut-être je me trompe)
est la sévérité des gardiens : on doit garder
une certaine position, marcher toujours près du mur et
on m'a dit que lorsque passe la ronde (à 8h, 16h, 20h),
il faut rester debout près de la couche. Après les
formalités d'immatriculation, ils m'ont mis dans une cellule
d'isolement et il n'y a pas d'autres détenus à côté
de moi, du coup je ne peux presque rien demander pour le moment.
La cellule dans laquelle je me trouve est hallucinante, elle ressemble
à celle d'un hôpital psychiatrique. J'ai un lit,
la table est incrustée dans le mur sous la télé,
mais la chose vraiment sordide est que le lavabo et la cuvette
des wc sont plantés au milieu de la pièce, ouverts,
sans fermeture. La cuvette est juste à côté
de l'oeilleton et ils ont monté un panneau de bois qui
te couvre au regard de ceux qui passent, même si dire couvre
est un euphémisme, en fait ils voient presque tout. La
chasse d'eau ne fonctionne pas bien. La lumière s'allume
et s'éteint seulement de l'extérieur, et c'est la
même chose pour la télé. J'ai dit au médecin
que je suis végétarien, mais il s'en fout. Bah !
J'espère au moins qu'ils ne me laissent pas trop en isolement,
pour compter les jours, j'ai du écrire la date sur le mur
avec un stylo afin d'éviter de perdre le compte des jours.
12 juin 2005
Ce matin, je suis descendu faire la promenade : ils m'ont mis seul dans une petite cour de 7 mètres sur 8, derrière ma cellule, pendant une heure. En m'y rendant, j'ai pu constater qu'il s'agit d'une vieille prison, sa structure est complètement différente de celle de Lecce. Malheureusement, je ne peux rien non plus demander au travailleur qui porte la bouffe, parce que contrairement à ce qui était le cas à Lecce, il y a deux matons qui le suivent. Je n'ai aucune idée de l'endroit où les autres prisonniers font leur promenade, car je n'ai entendu aucune voix de la cour où j'étais : elle a des murs hauts d'environ sept mètres mais, contrairement à Lecce, sans grillage au-dessus. Je n'ai aucune idée du genre de prison que c'est ici, mais elle ne m'a pas semblée petite en arrivant, au moins du peu que j'ai réussi à voir du fourgon.
13 juin 2005
Ici, les choses vont mal, ce matin vers 8h sont arrivés
une quinzaine de gardes, ils m'ont fait une perquisition corporelle
en cellule, puis m'ont fait sortir et ont perquisitionné
ma cellule. Lorsque j'y suis retourné, j'ai trouvé
toutes mes affaires en l'air et j'ai dû tout ranger. J'ai
demandé à prendre une douche et il m'y ont envoyé
: deux douches crasseuses qui n'ont jamais vu une éponge,
et en plus l'eau était froide. A 9h, je suis allé
en promenade dans la même petite cour, qu'ils ont notamment
fouillée après ma cellule, et je suis resté
pile une heure : pense qu'ils m'empêchent même d'emporter
un livre en promenade, et rester seul sans rien faire est un peu
usant. Ca me semble une situation vraiment hallucinante, je ne
sais pas ce qu'ils pensent des anarchistes, et pourquoi ils font
tout ça, mais cette situation dont je ne sais rien me fait
mal, bien que je cherche à rester calme. Le fait est que
tant que j'étais à Lecce, les jours volaient alors
qu'ici, dans ces conditions, un jour dure une éternité.
Comme si ça ne suffisait pas, ils allument de temps en
temps la lumière dans la cellule la nuit. C'est une situation
tellement étrange et incertaine, de toute façon
je reste fier et fort.
Tu sais, ce que nous disons sur la prison, que c'est un moyen
d'élimination psycho-physique, je pense comprendre vraiment
ce que cela veut dire à présent, je crois vraiment
que c'est comme cela.
environ 13h30
Un monsieur bien habillé est venu à côté
de la cellule et m'a dit de m'approcher. Il s'est présenté
comme le directeur. Je lui ai demandé comment il se fait
que je sois dans cette situation d'isolement, il m'a répondu
que ce sont les dispositions du Ministère sur mon compte,
que je dois rester seul dans une pièce, et il n'a pas su
me dire pour combien de temps. Il s'est aussi étonné
que je me trouve ici, bien qu'encore en préventive, il
a dit qu'ils ne devraient pas me garder hors de leur compétence
territoriale [c'est-à-dire sous compétence directement
étatique] mais que l'isolement ne peut durer longtemps
et que toute façon il n'y peut rien.
J'ai aussi dit au directeur que je voulais téléphoner
et il m'a envoyé le standardiste. Il m'a dit qu'il m'aurait
fait appeler demain, seulement juste après il m'a dit qu'il
manquait la photocopie de la facture de téléphone
que m'a mère m'avait envoyée. Il a donc appelé
à Lecce, pour s'informer si je n'avais pas déjà
effectué mes deux coups de fil, mais ils ont répondu
à Lecce qu'ils n'avaient pas cette photocopie et ont nié
que j'avais déjà appelé ma mère de
la prison de Lecce le 30 mai et qu'ils m'avaient autorisé
pour aujourd'hui un autre coup de fil. Je n'ai pas de mot. Aujourd'hui,
après l'historiette de la perquisition, je suis un peu
plus serein et j'ai réussi à manger un peu plus.
14 juin 2005
Lorsque je vais en promenade seul, c'est d'un grand ennui,
ma is c'est aussi l'unique moyen pour respirer un peu d'air hors
de la cellule, chose que je fais à pleins poumons, et pour
voir le ciel. De ma fenêtre en effet, je ne vois rien, parce
qu'au-delà des barreaux, il y a un double grillage métallique
aux carrés très très petits. Et même
de la promenade, étant très petit et les murs très
hauts, la portion de ciel que je réussis à voir
est vraiment minimale.
Même en isolement, j'apprends peu à peu à
mieux gérer les journées, bien que celles-ci soient
celles où il y a le plus de lumière dans l'année.
enfin, ces bâtards ne me laissent même pas bien dormir,
interrompant le sommeil par de continuels contrôles nocturnes,
allumant la lumière en cellule.
...Je ne vois pas venir le moment pour commencer à recevoir
de la correspondance ici à Salerne, ça me sera d'une
aide énorme.
... J'ai l'impression que le travailleur (un prisonnier qui travaille
en prison en portant la nourriture aux autres), à qui j'ai
dit que j'étais végétarien, a demandé
en cuisine de me faire toujours quelque chose sans viande ni poisson,
parce qu'aujourd'hui par exemple il y avait une portion de flageolets
juste pour moi. C'est quelque chose qui me fait plaisir, parce
que ça signifie qu'ils ne réussissent pas à
enlever la solidarité entre détenus. Et d'autre
part, n'avons-nous pas toujours répété que
la solidarité est à la base des luttes des exploités
?
[traduit de l'italien d'anarcotico.net du 17 juin 2005]