Lettre de Cristian de la prison de Lecce

23 mai (lendemain du rassemblement sous la prison)

Mes très chers compagnons, JE VOUS AI ENTENDU, ET COMMENT ! ! !

Quelle grande journée que celle d’hier, quel après-midi inoubliable. Je suis resté collé à la fenêtre tout le temps, j’ai agité un tee-shirt noir du plus haut que j’ai pu (au bout d’un balais) et j’ai hurlé, j’ai hurlé en m’y mettant tout entier. Je vous ai tous reconnus, un par un, chacun de vos mots a aussi été le visage de tous mes compagnons, et si mes oreilles ont tout reçu de façon forte et claire, mes yeux -même en se donnant du mal- n’ont réussi à distinguer qu’une seule chose, mais qui les vaut toutes, un beau et haut drapeau noir au-delà de ce maudit mur d’enceinte.

Je vous connais, et je sais bien de quelle grande solidarité vous êtes capables, et pourtant vous continuez à m’étonner : montagnes de télégrammes et de lettres, des initiatives extraordinaires une après l’autre, des choses jamais vues dans cette ville endormie et avec une participation vraiment inimaginable pour nous ici. Tout cela remplit mon cœur de joie et confirme la conviction précise que les doux sentiments qui nous lient dépassent n’importe quel obstacle, qu’il s’agisse de barreaux et de béton ou de centaines de kilomètres. Ici aussi, la solidarité n’est pas moindre, tout ce qui me manquait est arrivé en un clin d’œil.

Nous sommes trois en cellule : moi, qui dort à 50 centimètres du plafond, et deux merveilleux napolitains qui, avec leur langage sympathique, réussissent à me faire rire en permanence (je ne pensais pas qu’on pouvait tant rire en prison). Ce sont des gens qui ont plusieurs années de prison derrière eux et encore de nombreuses autres à faire (nous sommes en C2, Haute Sécurité, “ association à caractère mafieux ”) et qui connaissent donc bien la meilleure façon de faire passer la journée, inventant plein de choses et n’allant se coucher que la nuit. Ils m’aident vraiment beaucoup et des rapports d’amitié spontanés sont en train de naître entre nous. Saverio est dans la section située sous la mienne (bien que nous ayons essayé, ils se sont bien gardés de nous mettre ensemble, tous les trois) et nous faisons la promenade dans de “ petites cages ” contiguës, ce qui nous permet de se voir lorsque nous nous promenons. Même si nous ne pouvons pas nous parler, ces quelques baisers volants et saluts que nous réussissons à échanger donnent du courage à l’esprit et nous renforcent.

Salvatore est malheureusement de l’autre côté du bâtiment, et donc à l’exception des rencontres par hasard les premiers jours qui ont suivi notre incarcération, je ne réussis à le voir (sans jamais croiser son regard, lorsque je m’y essaie) qu’à travers les vitres et les barreaux lorsqu’il est en promenade et que suis en route pour une visite (avocats, parloir, divers travaux, ordre). Il me manque !

Devinez qui est venu “ nous voir ”. Bien, ce n’est rien moins que le sénateur Maritati. Il a essayé de récupérer le mouvement de protestation, mais en le tentant si maladroitement qu’il ne pouvait que recevoir ce qu’il mérite : je sais que Saverio a absolument refusé de lui parler, tandis que je n’ai compris qu’il s’agissait d’un élu que lorsque je me suis retrouvé devant lui. Si bien que, alors qu’il parlait depuis trente secondes (j’étais plutôt curieux de voir comment il pensait affronter le rapport dialectique homme de pouvoir/anarchiste) en disant qu’il s’était précipité de l’extérieur dès qu’il avait su à propos de “ la vague répressive ” (des mots d’un magistrat démocratique) et diverses autres conneries comme “ sauvegarder la liberté d’opinion ”, “ légalité à l’intérieur des prisons, respect des droits de l’homme, dénoncer si nous sommes violés ”, je lui ai répondu : “ vous êtes mon ennemi au même titre que les autres matons, si vous ne l’avez pas encore compris, c’est que vous avez de la merde sur les yeux ”, je me suis fait ouvrir la porte et je suis retourné en section. Je dois admettre que ce fut divertissant de le voir s’accrocher à tout prix comme seul un “ politicien ” sait le faire.

Dans les 15 jours suivant le vendredi 30 mai, aura lieu le réexamen de l’ordonnance d’incarcération et, mis à part ce terrible point d’interrogation qui pèse sur nos têtes, je suis tout compte fait plutôt serein (1).

Je vous souhaite un monde de bien.

Capturés ne signifie pas conquis !
La lutte continue ! ! !
Ils ne m’auront jamais ,
votre Cristian

(1) Ndt : le tribunal de réexamen a confirmé le 3 juin l’incarcération de Cristian, Salvatore et Saverio et la résidence surveillée pour Annalisa et Marina.

[traduit de l’italien, de anarcotico.net du 7 juin 2005]