Lettre d'Angela Maria Lovecchio

Très chers compagnons et compagnonnes, une lettre pour répondre à tous ceux qui de diverses manières ont été proches de moi avant et après ce jour fatidique du 20 avril 2004. Un texte, parce qu'écrire à tous, singulièrement ou à toutoutes les réalités, me serait impossible en peu de temps, et ceci est le seul moyen qui me vient à l'esprit pour pouvoir atteindre cet objectif rapidement.

C'est une fable, l'histoire selon laquelle on aurait en prison le temps de faire toutes les choses impossibles à réaliser dehors à cause des temporalités stressantes qu'on est presque obligé de suivre. En prison, son proprte temps est scandé par les interruptions bureaucratiques ou par la routine quotidienne. En plus, il y a la nécessité de vivre des rapports avec les autres détenues au cours des seules heures de soi-disant "socialité", lorsqu'on y a droit. La sensation est que le temps, on doit vraiment le conquérir avec peine.

Les lettres, les télégrammes, les mandats, l'affect et la solidarité sont des sources intarissables de force et de soutien pour les gens qui vivent ces conditions de réclusion absolue. Absolue, dans le sens que s'il est vrai que, dehors, les espaces et la liberté individuelle et collective laissent toujours plus à désirer, il est aussi vrai qu'ici la répression s'exprime et se manifeste dans toute sa force vile. Je veux dire à tous que je vais bien et que je trouverai le moyen d'occuper ce temps de la manière la plus profitable possible pour mon esprit et ma psyché.

Quelques mots à propos de la sentence.

Neuf années de débats procéduraux inutiles et de défenses inutiles (je ne veux porter aucune critique négative sur le travail des avocats). Mais à mesure que le procès avançait, le dessein politique et le but du pouvoir étaient toujours plus clairement évidents. La raison d'Etat, on le sait, émousse toutes les éventuelles discordances, discrédits, antipathies et divergences entre les différents représentants du pouvoir judiciaire et ceux du pouvoir d'enquête. Ainsi, sans aucun doute, personne n'a reconnu à Antonio Marini [le procureur chargé de l'enquête et du plaidoyer en première instance] aucune capacité particulière, aucune intelligence investigatrice. Tous comptes faits, il n'y a absolument rien dont il puisse être fier, vues toutes les fois où, au cours des audiences, les juges lui ont vivement et prestement suggéré et aussi imposé de ne pas exagérer dans ses petits jeux sales et ses réquisitoires prolixes (évidemment, ces invitations rentraient dans le cadre d'une éthique professionnelle du juridiquement correct).

A la fin du procès en première instance, les motivations sibyllines de la sentence posaient les bases pour une interprétation par la suite plus grave lors du jugement en appel. Peut-être attendaient-ils que les temps soient plus mûrs ou, peut-être, simplement un exemple ultérieur de "Ponce Pilaterie" : sur 54 inculpés, 44 seront acquittés et blanchis du délit associatif et de celui de bande armée.

Il est certain que pour les organes répressifs, en défense du dieu Capitalisme, de ses injustices, de son ambition et de son avidité, cela revenait à poser la première pierre. Une pierre lourde comme une sentence pour association subversive et bande armée contre les anarchistes, posée là comme une solide fondation en vu d'une série d'inculpations déjà en cours. Une fondation nécessaire pour garantir d'autres attaques contre-révolutionnaires. Pour avaliser dans toutes les inculpations en cours et les enquêtes une accusation basée sur les articles 270 et 270bis, appliqués à tors et à travers à tant d'individus et de compagnons.

Rien de surprenant, donc, rien qui ne nous laisse stupéfaits, et pas plus au cours de la journée du 20 avril 2004 lorsqu'une cour de cassation composée d'individus (les compagnons qui étaient présents partageaient, je crois, cette sensation) à l'aspect sinistre et hargneux, ont liquidé vite fait l'ennuyeuse question.

La première chose que j'ai pensée, en entrant dans la salle monumentale (comme l'est tout entier cet édifice-mausolée : lourd, marbreux et obsolète comme tout ce qu'il représente), a été que nos vies risquaient de subir un coup dur qui serait donné par un véritable Tribunal de l'Inquisition. "Le nom de la Rose" est un film pour ados, en comparaison. Et de fait, le coup dur a été donné : les condamnations ont été confirmées avec le sérieux qui n'appartient qu'à ce type spécial de personnes accoutumées à l'aridité. On nous a offert des perpétuités et des dizaines d'années de prison en un peu plus de de trois minutes. BIEN, BRAVO !!!

Quelle misère, quelle complicité. Complices et partisans des stratégies de massacres et de guerre, de dure répression contre ceux qui luttent pour leurs droits élémentaires. Sourds et aveugles face à la dégradation progressive, depuis des années, de toute dignité humaine, une fois de plus avec une indifférence et un zèle coutumier. Ils ont accusé, jugé, acquitté, condamné. Pas une ride de plus dans l'expression de leur visage, aucune fêlure dans leur voix. Routine, routine ordinaire.

Rien de quoi s'émerveiller, disais-je, pour ceux qui comme moi ont toujours pensé que le droit est le palliatif utopique administré aux exploités, une arme des exploiteurs. Rien à objecter à "ces Messieurs", seulement la nécessité de redire aux miens qu'il n'a jamais été question de coupables et d'innocents (montage ou pas) mais seulement d'être en-dehors. Et je suis, justement, étrangère à leurs accusations, à leurs "critères de jugement", à leurs logiques, à leur façon d'agir, de penser, de sentir. Rien d'eux qui m'appartienne et que je désirerai avoir. Leurs jugements, leur vérité certaine et absolue (en réalité bien fictive) sont uniquement les leurs, et ils les gardent bien serrés dans leurs mains. Quel coup dur les attendra eux le jour où nous les retrouverons vides et arides comme le sont leur coeur et leur esprit empoisonnés par l'avidité de pouvoir. Nous sommes dans leurs cages mais eux, comme des araignées affolées, ils se videront tous seuls. Et un jour il n'en restera que la carcasse vide collée dans leur propre toile, celle que nous balaierons au loin.

Une forte accolade, pour la liberté de tous et toutes.

Angela Maria Lovecchio.