La quotidiennité dans les souterrains des Lager de l’Etat

[Marco Ferruzzi a été arrêté le 27 juillet 2004 au cours de l’ “opération Cervantes” qui a conduit à des centaines de perquisitions dans toute l’Italie, la mise sous enquête pour “association subversive” des dizaines et quatre arrestations, dont la sienne, pour des délits spécifiques. Marco, incarcéré à Naples, est accusé d’avoir envoyé le colis piégé qui a explosé le 4 novembre 2003 à une caserne de carabiniers de Rome (“ fabrication et envoi d’explosif ” plus “tentative d’homicide aggravée ”). Il est actuellement toujours enfermé dans la section d’isolement interne dite “ Genova ”.]

Chers compagnons et compagnes,

Je vous écris pour vous dire que j'ai vécu la semaine dernière une des expériences les plus dégueulasses de ma vie. Comme vous le savez déjà, je viens de passer une semaine au mitard suite à la " condamnation " prononcée pour raison disciplinaire par monsieur le directeur.

Outre le fait qu'il abuse à mon propos, ce à quoi je m'étais préparé, ce monsieur est responsable de tout ce qui se passe quotidiennement dans le lager de Poggioreale. Alors que pour préserver sa respectabilité face aux principales autorités de l'Etat et à une opinion publique il affirme qu’on peut contenir la rage des mille autres détenus (cette structure ne peut en contenir 1000) avec des méthodes pacifiques, il n'a aucun scrupule et ordonne à ses agents de terroriser de différentes façons les prisonniers qui sont enfermés dans les cellules du rez-de-chaussée de la section Genova. Rien n'y est en effet laissé au hasard et le fait d'y entrer provoque déjà un fort impact psychologique, si bien que personne ne réagit aux coups. En effet, on finit en général par arriver ici après avoir déjà subi de nombreuses violences physiques (heureusement ce ne fut pas mon cas).

Outre le fait que la violence devienne psychologique contre tous et physique contre quelques uns, il y a aussi des cellules pour ceux qui souffrent de problèmes psychiatriques dans lesquelles le lit est fixé au sol et les toilettes sont à la turque avec un robinet au-dessus, alors que pour les autres les cellules sont meublées d’un lit, une table, un tabouret, le WC et le lavabo. La torture psychologique est pratiquée sur tous parce qu'on est enfermé ici dans des cellules infectes, froides et humides, sans interrupteurs ou prises de courant, la lumière étant régulée de l'extérieur par les vermines en uniforme et restant allumée la nuit (la jaune, celle dite d'urgence). Il n'y a ni télé, radio ou journal, pas de promenade ni de possibi-lité de cuisiner, et même fumer est soumis à leur vile cruauté.

Tout cela est permis et garanti par le " pouvoir démocratique " qui, en plus de commettre le crime de condamner à la prison n'importe quel individu, permet à ses serfs de déverser [sur nous] une rage qui dérive de leur conscience de n'être volontairement que des marionnettes sans cœur et sans di-gnité. Que les prisonniers soient des politiques, des mafieux ou des drogués ne change rien : l'important est de torturer sans savoir pourquoi et surtout sans un minimum de pitié. J'ai vu, ou plutôt j'ai entendu, que lorsque ces charognes agissent elles ne le font pas au grand jour, mais plutôt de manière à ce que personne ne les attende. Mais j'ai des oreilles, et aussi un cœur, charognes… J'ai assisté à de vrais massacres de leur part contre des individus sans défense : seaux d'eau, injures, le tout destiné à inciter les individus à se pendre. Par chance, j'en étais conscient, et même si ça fait mal d'assister à tout cela, j'ai cherché à ne pas subir en plus leur violence psychologique qui pouvait se répercuter sur moi.

Compagnons et compagnes, j'espère que tout cela nous fasse réfléchir et réagir contre les infamies qui sont infligées jour après jour dans la section d'isolement " Genova " et dans toutes les prisons. Je continuerai toujours à lutter avec dignité, même si le danger pour ma sécurité est grand, mais ce n'est pas moi qui ignorerai un individu en difficulté, d'autant plus que votre soutien m'est intense et grand, comme à tous les prisonniers. Je ne dénoncerai jamais tout ceci à leur justice, mais je le condamne au moins aux yeux de la nôtre qui ne laissera rien passer.

Solidarité avec tous les détenus qui luttent avec dignité contre les violences permises par le pouvoir. Une accolade chaleureuse, toujours et partout la tête haute.

Marco

[Traduit d’anarcotico.net du 20 octobre 2004]