Parmi les compagnons italiens qui luttent plus spécifiquement en solidarité avec les immigrés et contre les Cpt, outre ceux de Lecce et de Turin dont nous avons déjà traduit plusieurs textes dans les numéros précédents, il y a ceux de Bologne. En plus de rassemblements hebdomadaires devant le centre de rétention et de diverses initiatives, ils organisaient fin novembre trois jours contre le lager de cette ville.

Nous avons choisi, une fois n’est pas coutume, de traduire un tract qui décrit simplement la détention de ce lager. Nous ne pensons pas que savoir concrètement à quelles conditions sont réduits les immigrés qui y sont enfermés 60 jours pour le seul fait de ne pas avoir un bout de papier puisse remuer la zone grise de l’assentiment, l’indifférence ou la résignation. Mais nous avons voulu profiter des brefs instants que ces compagnons ont volé aux gardiens pour discuter par-delà les barbelés lors d’un de leur rassemblement, pour rappeler la réalité de ces centres de rétention, objets de révoltes et d’évasions fréquentes.

Pour sentir aussi, même s’il n’y a là rien que de douloureusement banal, la réalité de ces camps d’internement qui, intrinsèquement liés au monde qui les a produit, s’incarnent aussi dans des structures et leurs serviteurs. Elles se nomment par exemple Ibis, Air-France, Bouygues ou la Croix-Rouge de ce côté-ci des Alpes.


Ici on nous torture

Les murs sont faits pour diviser, isoler, cacher.

Au-delà des murs du Cpt de Bologne, plus de 110 personnes sont cachées, et volontairement oubliées.

Les Centri di Permanenza Temporanea (Cpt, centres de rétention), contrairement à leur fausse et hypocrite définition, sont de lugubres prisons dans lesquelles sont enferméEs ces migrantEs dont l’unique faute est de se trouver sans permis de séjour.

En passant au-delà des barbelés, nous avons réussi à parler directement avec les jeunes détenuEs, recueillant les récits de leur expérience.

En solidarité et appui aux luttes qu’ils mènent à l’intérieur du Centre, nous reportons ici leurs dénonciations et leurs accusations, aussi bien contre la Misericordia (entreprise qui gère ce business lucratif et sanglant) et ses collaborateurs que contre l’indifférence sociale diffuse.

«Ici on nous torture»

Ils hurlent avec rage que ceux qui gèrent le Centre gagnent un paquet de fric sur la tête de chaque prisonnier (la capacité est théoriquement de 100 places, à 72 euros par personne).

Selon la loi, ils ne pourraient pas prolonger la détention au-delà de soixante jours, mais outre le fait que certains y sont depuis plus de soixante-dix jours, il arrive souvent qu’ils soient relâchés pour une brève période avant d’être replacés à l’intérieur... et que le compteur reparte à zéro. Quatre jeunes ont protesté la semaine dernière contre leur détention prolongée. L’un d’eux venait d’être repris et ramené dedans, bien que sa compagne soit enceinte.

Les cellules mesurent 5 mètres sur 3, et chacune contient 5 ou 6 personnes qui dorment sans matelas, partageant à deux chaque couverture.

Ils ne peuvent avoir que peu de vêtements, qu’ils doivent laver sans savon ni lessive. L’un d’eux nous a montré ses sandales, les seules «chaussures» autorisées.

La nourriture, insistent-ils, n’est pas seulement mauvaise, mais pourrie ; beaucoup ont peur de manger parce qu’ils sont ensuite frappés d’une somnolence étrange et épuisante, causée selon toute probabilité par des psychotropes insérés, sans le dire bien sûr, dans la bouffe.

Ils ne réussissent jamais à voir le médecin : l’unique médicament qui leur est prescrit est l’Aulin [sorte d’aspirine].

En ce moment, 7 reclus auraient besoin de soutien médical parce que toxico-dépendants mais le service autorisé à délivrer les produits de substitution n’est jamais contacté.

Nous avons discuté avec une jeune fille enceinte de quelques mois qui n’a vu le médecin qu’une seule fois et n’a pas été relâchée comme cela se fait, même lorsque le délit est léger, en taule.

Les hommes en viennent à de graves actes d’auto-mutilation, afin d’être envoyés à l’hôpital : l’un a mangé du verre, puis s’est évadé des urgences. Aux médecins, comme à l’Inspecteur du camp, peu importent les protestations des détenus, et encore moins que soit internée une femme de 75 ans.

Pour éviter les révoltes, les immigrés sont enlevés en pleine nuit de leur lit afin d’être expulsés de force. Toute tentative de rébellion est durement réprimée par la police : ils disent enfin, que les tabassages sont permanents, que ceux qui sont en uniforme les frappent à coups de matraque quand ça leur prend.

En ce moment, un homme, enfermé à clefs et séparé de ses compagnons, est en grève de la faim et de la soif depuis plusieurs jours pour protester contre le fait qu’ils lui refusent de sortir en promenade depuis une semaine, mesure exceptionnelle devenue permanente (beaucoup d’autres le soutiennent en menant à leur tour une grève de la faim). Dans le Cpt, tout, de l’heure de promenade aux soins, est à la discrétion des trois travailleurs de la Misericordia.

Ces lagers de la démocratie (nous ne trouvons pas d’autre mot pour définir un lieu où des personnes de cultures différentes sont internées et recluses dans des conditions inhumaines uniquement parce qu’elles sont dépourvues d’un bout de papier) comptent sur le silence complice de cette zone grise qui, activement ou passivement, contribue à maintenir ce système moderne d’élimination des indésirables.

Une opposition réelle aux Cpt ne peut que passer par la mise en discussion du monde qui les a générés, tout en sachant qu’on ne parle pas d’une entité abstraite mais qu’elle est formée d’une réalité concrète et individualisable.

Rassemblement à 14h tous les samedis devant le Cpt de via Mattei en solidarité avec les reclusEs, pour en finir avec ces camps d’internement

Des ennemis de toutes les frontières
(CP 228 — 40124 Bologna centro)


[Traduit de l’italien. Tract distribué le 8 novembre 2006 à Bologne]


[Extrait de "Cette Semaine" n°91, décembre 2006, p.9]