Lutte contre le FIES à Picassent


Salut à tous/toutes ! Je m’appelle Paco Ortiz Jimenez, je suis arrivé de Picassent au FIES 1 de Huelva le 6 avril dernier, où se trouvaient déjà Claudio et Gilbert. Tous les trois nous parlons beaucoup, et comme vous pouvez l’imaginer, toutes nos conversations tournent autour de la lutte, nous échangeons nos idées et nos préoccupations. Nous avons reparlé de l’histoire des luttes carcérales de ces 20 dernières années et nous avons pensé qu’il serait intéressant de faire des récits de taule sur les luttes, évasions, mutineries, etc. écrits par les protagonistes mêmes, pour les publier sous forme de livre. Paco nous a fait part de son manque d’information total quant à l’isolement auquel ils sont soumis à Picassent ; c’est avec son arrivée à Huelva qu’il a pris conscience de la répercution que nos luttes ont eu sur le mouvement anti-prisons et des causes d’une si grande ignorance : mise au secret, rétention du courrier et des publications légales (à Huelva par exemple, ils ont retenu deux publications avec dépôt légal, el GUEI et el BORINOT). Pour éviter cela, nous insistons et nous répétons que les groupes et les amis de l’extérieur devraient mieux se coordonner qu’ils ne le sont maintenant.

Ensemble, nous avons constaté qu’en 20 ans de luttes carcérales, c’est la première fois que nous avons le soutien des compagnons de la rue. Grâce à leur effort et leur sacrifice, ils ont su donner de la couleur à ces luttes. Il faut ici mentionner les montages médiatico-judiciaires 3 dirigés contre ces compagnons/nes de la rue, accusés injustement d’être les auteurs matériels de l’envoi de colis piégés, sans oublier non plus les attitudes mesquines et misérables de certains éléments du mouvement qui les ont accusés d’être des provocateurs et d’être infiltrés. Nous considérons que des stupidités de cet ordre n’apportent rien de bénéfique, au contraire, elles créent un dommage irréparable qui provoque un isolement, un abandon et une rage qui nous brûle le coeur.

Les difficultés que nous avons pu constater sont énormes, les propositions de lutte élaborées dernièrement, comme celle des “bras croisés”, nous ne savons pas exactement quel accueil leur ont réservé les prisonniers. Les txapeos 2 ont une diffusion limitée parce qu’ils ont été sanctionnés dans plusieurs prisons. Les jeûnes se sont répétés trop souvent, perdant une grande part de leur force et de leur efficacité (ici à Huelva, nous avons jeûné tous les trois, les 7 et 8 avril et nous continuerons à le faire tous les mois). La nécessité de trouver une nouvelle proposition de lutte qui mette en avant la solidarité et permet la participation de tous les prisonniers, sans trop de sacrifices, nous la voyons dans la GREVE DE PLATEAUX, qui consiste à refuser la nourriture de la prison (pour quelques jours ou semaine). Ce n’est pas un jeûne parce que ça nous permet d’acheter la nourriture à l’économat (pour celui qui peut... bien sûr) ou de l’économiser (là où c’est possible) au cours des jours qui précèdent la grève. L’autre avantage que nous lui voyons est qu’ils ne peuvent pas nous sanctionner si nous refusons la bouffe merdique de l’Administration. Sincèrement, nous pensons que cette proposition est assez bonne parce que l’on arriverait à rompre la barrière que le régime FIES essaie d’imposer aux prisonniers. Logiquement, cela exige pas mal d’efforts pour contacter et convaincre ceux du 2e degré, c’est un boulot qui serait plus facile si les groupes de la rue laissaient de côté leurs préjugés et arrêtaient de se mettre en avant. De toute façon, il y a toujours un revers à la médaille, étant donnée la répression incessante, qui nous obligera à un moment donné à adopter des ripostes chaque fois plus conformes aux dures réalités qu’ils nous obligent à vivre... Mais nous ne sommes sûrs de rien... Nous essayons simplement d’être plus créatifs pour que la flamme de nos luttes ne s’éteigne jamais. Le témoignage de Paco sur les dernières actions organisées à Picassent nous apportent de la matière à réflexion :

“Mon transfert à Huelva est dû aux motifs suivants : à Picassent, José Manuel Luengos Fernandez (aujourd’hui à Jaen II), Bernardo Sevilla Borrego (aujourd’hui à Cordoba) et moi-même, avons maintenu une grève de la faim pendant tous le mois de décembre (2000) et par la suite pendant 18 autres jours au cours du mois de mars 2001. Comme réponse, la direction de Picassent II a accru la répression et nous y avons répondu dans un premier temps par une confrontation directe, par des propos et par de la désobéissance. Face à notre attitude, les bourreaux ont répondu par le tabassage de Sevilla et de Juan (le Tondu). Ils nous ont séparés et nous sommes restés trois prisonniers FIES, chacun de nous confiné dans une cour. Mais, par accord commun, nous sommes arrivés à la conclusion que dans le module FIES de Picassent, les luttes comme les txapeos, les grèves et les actions similaires ne font que nous conduire à plus de répression, pleine de restrictions, de rétention du courrier et d’isolement par rapport aux autres compagnons/nes du dedans comme du dehors. En même temps, nous avons pris conscience que tout ce qui arrive à Picassent II est systématiquement passé sous silence. Personne ne sait ce qui s’y passe. Face à cette situation difficile, notre nouvelle stratégie fut la suivante : après le dernier tabassage de Juan et notre isolement respectif, nous avons décidé de détruire tout ce qui était possible. L’ennemi nous a attaqué un par un, protégé par son nombre supérieur, ses matraques, ses casques et ses boucliers. Notre compagnon Sevilla a été transféré le 16 janvier à l’Hôpital Général Universitaire (pendant une journée), et moi-même j’ai fini le même jour dans le même hôpital car lors de notre affrontement avec les bourreaux, je brandissais une pointe de 16 centimètres qui pendant l’agitation de ce combat acharné a fini par se planter dans mon poumon gauche (et pas par ma main), de là à m’interroger... Tentative d’assassinat ? J’ai été admis 6 jours aux urgences, en passant par la salle d’opération dudit hôpital. Après tout ce temps, du fait de l’inquiétude que je ressentais quant à l’état de mes compagnons, j’ai moi-même insisté pour sortir de l’hôpital le 8 [février], bien que mon poumon ne soit pas guéri. A mon arrivée dans le module 9bis (l’aile du contrôle direct), j’ai constaté que Luengos et Sevilla se trouvaient encore en bas (j’étais au premier étage). Tout continua comme avant : article 75, isolement, restriction de promenade, nourriture dégueulasse...

Que faire ? Penser à une nouvelle stratégie qui ne se retourne pas contre nous, mais qui ne laisse pas de doutes sur nos intentions. La répression continue : lors des fouilles quotidiennes, toutes nos affaires sont jetées au sol sans le moindre respect pour les objets auxquels nous tenons (photos, etc.). Il ne s’agit plus de fouilles mais de mise à sac, réalisée avec l’intention de nous soumettre. C’est à ce moment que nous avons décidé de rendre inutilisable le module FIES en utilisant des draps, des housses de matelas, des serviettes et des chemises coupées en morceaux que nous avons introduits dans les WC pour créer des bouchons qui bloquent les canalisations, empêchant l’évacuation des déchets. Le résultat fut l’inutilisation totale de trois cellules, avec de la merde et de l’eau nauséabonde qui inondaient tous les couloirs, qui descendaient par les escaliers jusqu’à arriver au pied des gardiens. Pour couronner le tout, on leur demandait par l’interphone pourquoi il y avait autant de merde qui sortait des WC. Eux savaient parfaitement ce qui se passait, et ils nous ont changé de cellules. Une équipe de plombiers est venue pour essayer de déboucher l’énorme bouchon qui s’était formé jusque dans les égouts de la cour de promenade... Mais tu parles... ils n’y sont pas arrivés.

Dans les nouvelles cellules dans lesquelles ils nous ont mis, nous avons répété l’opération avec les mêmes résultats néfastes pour les structures du module ! Conclusion finale... ils ont fermé le FIES de Picassent et on nous a transféré tous les trois. Une délicieuse et joyeuse sensation de victoire m’envahit alors que j’étais assis dans le fourgon de la Guardia Civil, une grande joie et un sourire m’ont accompagnés pendant tout le voyage, avec l’idée que la merde flottait dans les couloirs pestilentiels et vides du module FIES de Picassent”.

Chaleureuse accolade !

1. FIES : Fichier interne de suivi spécial. Modules spéciaux qui comportent plusieurs degrés en fonction de la soumission des détenus. On y trouve en général les meurtriers de flics, les braqueurs, des insoumis à l’armée et plus généralement à cette société. La torture et les tabassages y sont le lot quotidiens. Voir les infos diffusées par Tout le monde dehors ! – 21ter rue Voltaire – 75011 Paris qui a publié quatre lettres d’infos et deux brochures sur le sujet.
2. Grève de promenade.
3. Le 9 novembre 2000, la police a arrêté Eduardo Garcia Macias (membre de l’ABC) et Fany Maurete (une 3e personne est en fuite) en les accusant de liens avec sept colis piégés postés à des journalistes et un politicien en solidarité avec la lutte contre les FIES. Edu est depuis lors incarcéré en FIES.

Traduit de l’espagnol par CS. Extrait du bulletin de l’ACOP’S – qui diffuse des lettres de prisonniers en lutte contre les FIES –, numéro publié vers mai 2001. Adresse : A COP’S – Apt. 24103 – 08080 Barcelona


[Texte paru dans Cette Semaine n°83, sept/oct 2001, p. 9]