AUX MUTINES DE LA PRISON SOCIALE

DES PRISONNIERS EN LUTTE

Depuis quelques mois, en Espagne, plusieurs détenus ont commencé une lutte dans et contre le régime spécial du F.I.E.S. (littéralement, Fichier Intérieur de Suivi Spécial). Il s'agit de divisions de haute surveillance créées en 1991 afin d'isoler, étudier et anéantir les prisonniers considérés comme les plus dangereux. Ces divisions sont à leur tour cloisonnées en cinq degrés, qui vont de l'isolement total jusqu'à des régimes plus "ouverts", afin d'associer toujours aux privations et aux tortures la possibilité de monter sur l'échelle des améliorations en descendant sur celle de l'insoumition. C'est l'aspect pédagogique de la matraque. A la brutalité pure et simple( huit personnes sont mortes depuis 1991) s'ajoute un programme scientifique d'observation du détenu dans ses mouvements à travers ces frontières internes qui sont les différents degrés d'isolement. Institué progressivement après les luttes très dures menées à l'intérieur comme à l'extérieur des prisons à la fin des années 70( émeutes, prises d'otages, destructions, etc.), le F.I.E.S. pousse à l'extrême un aspect central du système carcéral et de la société toute entière: la différentiation. Nous reviendrons sur cette question. Avec ces notes, entre autre, nous voulons contribuer aux initiatives internationales en solidarité avec les prisonniers en lutte en Espagne. Cette lutte touche actuellement une vingtaine de prisons et vise à obtenir: l'abolition des F.I.E.S., la libération des détenus malades et la fin de l'éloignement et des transferts continuels.

POURQUOI SE BATTRE DE CE COTE-CI DU MUR ?

Avant tout, parce que nous sommes contre toutes les prisons ;non pas contre leurs aspects les plus brutaux - comme nombre de dames de charité démocratiques-, mais contre leur existence même, contre le rôle qu'elles jouent dans la société et contre cette même société qui en a besoin. Le problème des prisons nous ne l'envisadeons que sous un angle: celui de leur destruction. Cela signifie que nous ne le dissocions pas de celui d'un bouleversement social qui puisse mettre en cause l'existence de l'Etat et du capital. c'est à dire des lois et de l'argent. Quelques mots sur ça.

Si de la prison nous nous refusons pas seulement le fonctionnement( éloignement physique, enfermement, privations, humiliations, etc), mais aussi son but ( châtier les individus hors norme, effrayer les pauvres, défendre l'Etat et les privilèges de la classe dominante, réprimer les rebelles, etc ), il s'en suit que sa critique n'est possible qu'en remettant en cause les concepts mêmes d'obligation et de punition. Si l'on m'impose les règles du jeu (et les lois sont toujours des règles imposées par l'autorité, c'est à dire par ceux qui exercent le pouvoir dans la société), pourquoi devrais-je les respecter ? Voilà la question qui contient toutes les autres. Soit la réciprocité entre les individus, soit la coercition ( sous une forme ou sous une autre). En m'expropriant la possibilité de m'unir et de m'accorder librement dans tous les aspects de la vie, cette société m'exproprie en même temps la possibilité de faire face aux conflits. Ses règles contiennent déjà la répression. C'est pourquoi les thèses de ceux-réformateurs éclairés ou révolutionnaires autoritaires- qui prônent l'abolition progressive de la prison dans cette société ne font que renforcer la domination. Si l'Etat accepte d'abolir l'enfermement carcéral, cela veut dire qu'il a trouvé des instruments de contrôle social et de répression alternatifs. Et c'est d'ailleurs la tendance que les technologies informatiques de surveillance- en même temps que la transformation totalitaires de l'espace urbain- favorisent. Un cerain changement pénal( combien de détenus purgent des peines pour des délits qui demain ne seront plus classés comme tels?) pourrait réduire considérablement le nombre des prisonniers. Assignations à résidence, bracelets électroniques, etc., tout cela pourrait suffire pour les délinquants par accident ( petits trafics, crimes passionnels, etc.). Et pour les autres ? Pour les hors-la-loi fiers de l'être, pour les rebelles conscients et résolus?

Pour eux la prison existera toujours, et sera encore plus dure. Elle ne s'appellera peut-être plus "prison" -ce nom ne plâit pas aux bien pensants de gauche-, mais clinique médicale, hôpital psychiatrique, structure de suivi psychologique, etc. Des fous qui se rebellent alors que toute rébellion est jugée impossible, ne sont-ils pas des cas cliniques plutôt que sociaux? Voilà pourquoi les réformes des prisons (dont l'Etat français, par exemple, a si besoin, comme le barvardage médiatique actuel le montre) qui visent à faire participer le détenu à "une meilleure qualité de l'enfermement" se traduiront par une répression nouvelle pour la minorité de rebelles qui n'acceptera pas de collaborer.

On parle de conditions acceptables à la fois par les surveillants et par les prisonnniers- la nouvelle philosophie des barreaux invisibles-, tout en cachant le fait que les quartiers d'isolement, nominalement abolis, existent toujours. Il est des prisons comme du reste de cette société démocratiquement totalitaire: faire participer, en réalité, c'est diviser. Les sociologues, les architectes, les psychologues, les marchants de châines électroniques et les législateurs sont au travail pour leur nouvelle démocratie technologisée. Qu'on extermine, mais s'il vous plaît, épargnez-nous le sang.

Voilà pourquoi nous ne sommes pas pour l'abolition des prisons, mais bien pour leur destruction. On ne peut pas séparer la prison d'une société dont elle est partie intégrante sans la remplacer sous d'autres formes. Voilà pourquoi détruire les prisons( donc le droit, donc la justice, donc l'Etat) n'est pas plus utopique que de penser qu'une société autoritaire et de classe puisse exister sans répression. Laissons donc à d'autres, plus réalistes que nous, le soin de demander à l'Etat un acte de réconciliation pour le nouveau millénaire... Comme toute l'histoire des inssurrections le démontre, les prisons ne seront jamais rasées par décret. Aucun pouvoir (fût-ce "révolutionnaire") ne les abbatra à notre place.

Toutes les luttes et les actions qui s'attaquent à la prison sociale pour la détruire nous trouvent d'accord. Dans ce sens, nous distinguons les luttes autonomes qui poussent l'Etat, de son propre côté, à céder sur des points partiels, de la perspective de lui demander une libération( par exemple une amnistie) fondée sur la négociation et sur la prétendue fin des conflits( mais qui peut parler au nom de la guerre sociale?).

Pour revenir à la question du F.I.E.S., il y a d'autres raisons, plus spécifiques, pour lesquelles nous sommes solidaires avec les prisonniers en lutte en Espagne.

Les divisions spéciales représentent la forme extrème de la "différentiation", la criminalisation à l'intérieur même des prisons, dans des conditions vraiment infâmes où les tortures et les humiliations sont le lot quotidien des détenus. Que des prisonniers, après des années de luttes isolées et payées très chères, décident de s'y opposer collectivement- pour les abolir, un point c'est tout- nous fait chaud au coeur. En plus, nous trouvons positf le fait qu'ils n'aient pas reproduit dans leurs revendications les catégories de "prisonnier politiques" et de "prisonnier de droit commun", catégories fonctionnelles, à notre avis, pour les divisions dont l'Etat lui-même se sert. En ce sens, comme on dit, leur lutte est porteuse d'universel, car elle concerne tous les détenus.

DE CE VERSANT-CI DES PYRENEES

Sans que les prisonniers eux-même ne décident de résister et de se battre, touute critique de la prison reste "abstraite"(bien que nécessaire). On peut dire de la prison, ce que quelqu'un disait de la société: la révolte est le seul moment où le mot "peuple" n'est pas une mystification, car il indique la puissance des individus unis. C'est pourquoi cette lutte peut nous permettre de poser partout - du côté de ceux qui n'en veulent plus - le problème de la prison, en France comme ailleurs. L'internationalisme subversif, c'est avant tout démolir les frontières dans nos propres têtes. Même d'une prison espagnole, chacun, comme le dit un adage populaire, a une brique chez lui.

Une autre raison- une raison du coeur, si l'on veut- qui nous pousse à l'action solidaire, c'est que plusieurs prisonniers anarchistes sont engagés dans cette lutte. Leur combat n'est que la continuation des idées et des pratiques pour lesquelles ils ont été incarcérés. Leurs crimes sont les nôtres.

La répression envers les détenus en lutte sera dure, n'en doutons pas. Raison de plus pour faire sentir à leurs geôliers et à ceux qui les payent l'arme de la solidarité. Chacun à sa façon, comme il convient aux amants de la liberté.

UNE PRISON FORMAT SOCIETE

Avant de terminer ces quelques notes, encore une petite réflexion.
Nous ne concevons pas la prison comme un problème spécialisé, lié à l'appui des prisonniers. Le chantage de la punition- dont l'enfermement carcéral est l'exemple le plus clair- s'exerce dans toute la société, dans toutes les luttes. C'est donc partout, dans chaque lutte( sur la précarité, sur la santé, contre le travail, contre la domesticiation technologique, etc.) qu'il faut parler des prisons. Si nous voyons ces dernières comme des forteresses bien isolées, elles resteront intouchables Mais la prison, c'est aussi l'architecte qui la projette, la société qui la construit, la loi qui l'établit, le tribunal qui t'y envoie, le flic qui t'y amène, le surveillant qui te mate, le prêtre qui suce ta souffrance, le psychologue qui espionne ton esprit. Elle est tout cela et autre chose encore. C'est l'entreprise qui exploite le travail des détenus, celle qui fournit la nourriture ou les appareils de contrôle; c'est le professeur qui la justifie, le réformateur qui la veut plus "humaine", le journaliste qui en tait les finalités et les conditions réelles, c'est le citoyen qui la regarde rassuré, ou qui tourne le regard. L'horreur des femmes et des hommes enfermés dans des cages, retombe, comme une infamie, sur chacun d'entre nous. Il n'y a pas de délégation possible.

Pour voir tout le monde dehors.
Pour que des prisons ne restent que les ruines.

Des anarchistes

pour plus d'infos: TOUT LE MONDE DEHORS!
c/o TCP-21ter rue Voltaire 75011 PARIS.